Caroline Donati est journaliste spécialiste du Moyen-Orient et chercheuse. Avec derrière elle une formation de polytologue, elle a écrit « L’exception Syrienne ». Entre modernité et résistance. Anciennement collaboratrice au sein de la rédaction de Médiapart, elle est, depuis fin 2012, 100 % consacrée à ce projet de web-documentaire « Syrie : journaux intime de la révolution ». Rencontre avec cette femme qui a décidé de donner la parole aux citoyens syriens pour parler de leur guerre.
(L’origine du projet ayant déjà été questionné dans d’autres interviews, les questions les plus inédites et pertinentes au regard du propos ont été sélectionnées)
Alice Hubert, le 15 décembre 2015
À long terme, vous arrivez à voir si ce projet peut tenir encore des années comme ça ?
Un aspect important c’est que pour pouvoir survivre nous avons un appel à projet et nous avons développé le côté formation. Ce n’était pas du tout prévu. C’est-à-dire que nos journalistes citoyens on les a formés en les accompagnant pour témoigner et ça s’est transformé en formation. On a développé ce projet avec Canal France International sur des fonds de l’Union Européenne. En fait la base du projet c’était : comment informer de manière alternative sur la Syrie, sur un conflit. Nous nous avons finalement inventé ce processus là ou ce mode de témoignage de proximité qui fonctionne très bien car il permet de susciter l’empathie. On s’attache à Majid, on s’attache à Oussamma. Il y a une vraie professionnalisation qui s’est faîtes. On a posé les bases d’un réseau. Le réseau d’Oussama du Mouvement de non-violence. Amer, Joudi, Majid sont le réseau, le noyau dur de ce réseau « New Syrian Voices ».
Est ce que ce réseau a relancé votre projet ?
Ça a permis de le poursuivre et de le développer, pas de le relancer. Du coup, on a intégré Hassan, Sana et Mohamed qui n’est pas sur le site à l’heure actuelle. Donc on va arriver à sept en 2016. Là on va relancer le projet avec une nouvelle boîte de production qui est Small Bang, qui est l’atelier, le studio transmédia dirigé par Pierre Cattan. On le poursuit, on ne le relance pas mais on lui donne ce qui lui manquait. C’est à dire : une diffusion plus large, centrée sur l’international et en ajoutant du décryptage géopolitique, qui ne faut pas oublier. Du décryptage pour éclairer les vidéos. C’est toujours en fait pour pouvoir montrer quelle est cette opposition non-violente, qui est finalement la génération de la relève.
Donc la diffusion sur le site d’Arte a joué et empêché la diffusion grand public que vous souhaitiez ?
Nous avons des diffuseurs prestigieux, Médiapart ou Arte, mais qui ne sont pas forcément axés grand public. Au début c’était artisanal, c’était une petite équipe. Et là on arrive avec sept journalistes citoyens, on a besoin d’une production de taille qui a les ressources pour pouvoir poursuivre ce projet là.
Comment vous êtes-vous mis en lien avec la société de Production DKB Productions ?
Par un réseau personnel. Il y avait je crois de la part d’Emmanuelle Barrault, la dirigeante de DKB, d’y aller, d’un engagement.
De qui est constituée l’équipe du projet au départ ?
On était trois. Carine, Oussama et moi. Et un traducteur, mais vraiment au compte goutte.
Êtes-vous en contact quotidien avec chacun des reporters ?
Oui, si vous voulez, c’est un peu comme si Oussamma et moi étions des rédacteurs en chef. Nous sommes en contact quotidien avec eux. Sur Skype c’est plus un travail de conférence de rédaction maintenant. C’est plus sur du WhatsApp ou sur Messenger qu’on communique avec des messages écrits ou vocaux. C’est vrai qu’à l’écrit c’est plus facile. WhatsApp c’est vraiment une appli qui permet de facilement les contacter. Parce que pendant tout un moment on pouvait rester sans nouvelles d’eux, parce qu’ils étaient sur les fronts ou qu’il n’y avait pas une assez bonne connexion internet. Grâce à ça c’est rare qu’on ait pas de nouvelles en 24h. Ils sont vraiment plus facilement joignables.
Oui parce que j’ai vu que sur votre page Ulule pour votre campagne de financement, vous expliquez que c’est très difficile d’avoir une connexion internet en Syrie. C’est vraiment un luxe, finalement, d’être connecté ?
Tout à fait. C’est un luxe aussi d’avoir l’électricité quand on n’a pas de générateur ou de connexion satellitaire. Le luxe, il est dans la connexion satellitaire. Nous, on n’a pas les moyens de leur offrir des connexions satellitaires donc c’est la débrouille sur place. Mais euh… Mohammed va par exemple avoir beaucoup plus de mal à envoyer ses vidéos parce qu’il faudra qu’il aille chez une amie qui a une bonne connexion, qui a les moyens, voilà.
Par rapport aux vidéos, ont-ils des contraintes d’envois ? Est-ce que vous leur demandez d’envoyer un minimum de vidéo par semaine ?
C’était pas des contraintes dans la première période mais ça va le devenir. Là on va leur demander un minimum. Une régularité et puis on va développer une web-série donc. Parce que les vidéos-là ne sont pas le résultat de commandes. Par exemple un fait d’actualité. Dimanche soir Hassan a envoyé une vidéo et l’a envoyé sans que je lui demande quoi que ce soit mais il ressentait le besoin de filmer. Parce que c’est au lendemain des bombardements russes. Après nous on va avoir des commandes précises parce qu’ils n’auront pas pensé à tout. Et puis on va les faire travailler sur des thèmes pour alimenter la web-série. On commence à les connaître, à savoir ce qu’ils peuvent filmer. C’est là où ça devient plus conférence de rédaction. Et pour le développement en 2016, là ce sera plus structuré, on va essayer. Après on est dans une situation de guerre où ils sont acteurs, enfin je veux dire ils ne sont pas extérieurs aux faits qu’ils rapportent donc il y a des moments où c’est très dur pour eux de filmer, il y a des conditions sécuritaires ou des choix simplement au niveau moral.
Le contenu est tout de même énorme. Qu’en est-il de la régularité ?
Majid a une régularité. Après, il y a des périodes… Par exemple, Amer a eu une période où il n’a pas du tout filmé parce que c’était trop dur pour lui au niveau sanitaire et moral. Là il ne faut pas du tout tenir en compte la dernière période depuis le mois de septembre parce qu’on est en période de transition. L’ancienne production n’est plus du tout dans le jeu. On est en période de développement pour ce qu’on appelle la saison 2, rien à voir avec le découpage chronologique de la première diffusion.
Vous avez donc stoppé la diffusion ?
Non pas forcément, parce qu’on est en période de développement, donc oui. Mais par exemple, Hassan nous a envoyé une vidéo à la suite des attentats de Paris et on l’a mise sur les réseaux sociaux. C’est une diffusion qui se fait ailleurs et ponctuellement. Là on est dans une période de transition. Ça veut pas dire qu’il ne filme pas. On les forme aussi, on accentue et accélère ces formations.
Ces vidéos, une fois que vous les recevez, vous les publiez sous combien de temps ?
On distillait les vidéos sous deux à trois semaines, par série, six d’un coup quelque chose comme ça, une toutes les trois semaines. C’était inhérent aux traductions. On a jamais eu un budget à la hauteur du projet et il n’y avait que moi qui était à plein temps. Après il y a la chaîne de production qui prend du temps, c’est à dire la traduction. Le traducteur n’était pas non plus rémunéré à plein temps, donc il le faisait quand il pouvait. Donc après il y a avait aussi au début la nécessité d’atteindre la traduction de la version allemande pour être diffusé sur Arte. Tout le défi de la prochaine saison, c’est de réduire ce temps de traduction et de production. Carine n’est plus sur le projet cette année, elle est en déplacement professionnel. Donc voilà, ce sera les ressources de Small Bang. Mais on est en train de travailler une nouvelle architecture du site, un nouveau site pour valoriser la matière que l’on a accumulée et nourrir l’actuelle. Et une expérience plus centrée sur l’utilisateur, pour que ce soit plus facile.