Il faut d’urgence démocratiser les algorithmes. C’est le signal d’alerte de Serge Abiteboul. Pour lui, tout le monde doit s’y familiariser pour comprendre les transformations à l’oeuvre dans la société. Portrait d’un ingénieur qui veut mettre les machines à la portée de tous.
“Seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose”, disait Nietzsche. C’est justement à l’occasion de sa marche quotidienne que nous nous entretenons avec Serge Abiteboul. Chercheur en informatique, cet homme âgé de 65 ans s’inscrit dans une véritable logique de démocratisation des algorithmes et défend l’idée que n’importe qui peut comprendre ce qu’ils représentent. Il milite pour que tous les enfants puissent écrire des programmes à l’école. “Non pas parce qu’ils travailleront chez Google ou Microsoft plus tard, mais parce que cela leur permettra de mieux se réaliser dans leur vie professionnelle et d’être des citoyens plus conscients de ce qu’il se passe autour d’eux” déclare-t-il.
Serge Abiteboul pense qu’il faut que toute la population “monte en compétences” : “On peut utiliser des apps sur un téléphone, mais on peut aussi apprendre à en écrire. Apprendre à écrire des programmes informatiques. Il faut passer par là. Ça n’a rien de mystérieux, ça s’apprend en une semaine. Mais ce n’est qu’un aspect. Il y a beaucoup d’autres choses à apprendre en informatique”. L’ingénieur croit qu’il faut transformer le système éducatif français en donnant accès à l’informatique au plus grand nombre. Si ça ne se fait pas, ce qu’il risque d’arriver selon lui, c’est qu’il n’y ait plus d’innovation en France dans les domaines qui ont fait sa renommée, tels que la construction automobile par exemple.
Une vie dédiée à la recherche
Serge Abiteboul a grandi à Romorantin-Lanthenay, dans le Loir-et-Cher. Après avoir étudié dans une école d’ingénieurs, il part aux Etats-Unis pour y écrire une thèse en informatique. De retour en France, il devient chercheur en informatique à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) où il passe toute sa carrière. Aujourd’hui, et ce, depuis un an, Serge Abiteboul est membre du Collège de l’Autorité de régulation des communications électroniques et de La Poste (l’Arcep), un organisme indépendant “qui doit faire en sorte que le monde dans lequel on vit soit plus facile pour chacun et pour les entreprises, que la concurrence ne soit pas déloyale”, décrit-il. De façon pratique, il gère par exemple les fréquences, mais aussi la connexion des Français à un très haut débit.
Directeur de Recherche à l’École Nationale Supérieure, membre de l’Académie des sciences de France, membre du Conseil national du numérique, président du Conseil scientifique de la Société d’Informatique de France : les casquettes, Serge Abiteboul les a accumulées tout au long de sa carrière. Apprendre à organiser son temps, c’est un problème assez classique dans la vie d’un chercheur tant il a de choses à gérer. “On fait de la recherche, on dirige une équipe, on a une vie de famille, une vie sociale… et il faut gérer” dit-il.
Auteur, informaticien, mais pas futurologue
Impossible pour Serge de jouer à l’informaticien au début de sa carrière… car ça n’existait pas encore ! Les mathématiques se sont petit à petit présentées à lui, de par leur rigueur et leur exigence. C’est son côté pédagogue qui lui ouvre les portes de la littérature et il écrit de nombreux ouvrages dans le but de vulgariser l’informatique. “Tel les autres chercheurs en informatique”, Serge Abiteboul nous explique passer beaucoup de temps à discuter avec ses collègues et ses étudiants, à essayer de trouver des problèmes, les définir puis les résoudre. Indexer dix milliards de pages, donner la meilleure réponse à votre requête sur un moteur de recherche, c’est, entre autres, ce à quoi il s’est attaché pendant de nombreuses années. Pour cela, l’index est créé par avance, avec des machines qui lisent tout le web avant que l’utilisateur ne s’installe devant son ordinateur.
Dans un monde complètement transformé par l’informatique, les citoyens doivent comprendre la façon dont les choses fonctionnent. Tout en précisant avec le sourire qu’il ne se prend pas pour un futurologue, Serge Abiteboul explique qu’il ne connaît pas de tâche qu’un humain puisse réaliser aujourd’hui et qu’un ordinateur ne pourra pas résoudre un jour. “L’exemple le plus fort étant un juge qui prend connaissance de toute la complexité d’un dossier d’assises, et qui va gérer ça. Je ne sais pas si l’ordinateur sera capable de le faire aussi un jour, mais je n’ai aucune raison de penser qu’il n’en sera pas capable”. Il y apporte toutefois rapidement une nuance : “Mais aujourd’hui, on en est très très loin”.
À découvrir : Le bot qui murmurait à l’oreille de la vieille dame, Le Pommier, 2018.