10 octobre 2019

Les voitures autonomes, un investissement malin

par Guillaume Kagni

Christophe Sapet, patron du fabriquant de navettes et voitures autonomes Navly, a été débarqué le 8 décembre dernier. Son entreprise a enregistré un chiffre d’affaire de 17 à 19 millions, contre 30 prévus initialement. Cette « crise » illustre une méfiance à l’égard de cette technologie. Les entreprises pourraient en profiter pour investir dedans. 

On a longtemps pensé qu’au XXIe siècle, les voitures se déplaceraient dans les airs… Bien loin de cette spéculation, l’automobile se développe à son rythme. Ce qui n’empêche pas cette industrie d’innover et de proposer aujourd’hui des voitures autonomes. Le principe est simple, un véhicule robotisé assure la conduite, et son propriétaire peut vaquer à ses occupations.
Cette petite révolution dispose encore de nombreuses zones de floue, notamment au niveau juridique. Les avis divergent quant à la place que pourraient occuper ces voitures dans notre société et notre économie. Il reste difficile de déterminer les bénéfices que tirerait une entreprise si elle venait à investir dans la technologie. C’est une question à laquelle deux experts ont donné des éléments de réponse. Jean François Bonnefon est actuellement en poste au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il mène des recherches en science cognitive sur le sujet. Marc Clément est président de chambre au Tribunal administratif de Lyon. Ancien ingénieur, il aime imaginer le futur législatif de la robotique.

 

LES PLUS DE LA TECHNOLOGIE AUTONOMNE 

 

  • La voiture autonome peut être très sûre dans un environnement fermé.

C’est l’une des promesses faites par les différents constructeurs de voitures autonomes. Elles sont un moyen de transport capable d’éliminer près de 90% des accidents, ces derniers étant souvent causés par une erreur d’origine humaine. Une telle annonce, sans moyens d’en vérifier la véracité pourrait être un frein à l’investissement.

« À l’heure actuelle on considère que 90% des accidents sont liés à une erreur humaine. Donc on se dit que si on arrivait à éliminer complètement l’erreur humaine grâce à la robotisation on pourrait éviter ces accidents là. »

Pour Jean François Bonnefon, la question de la sûreté dépend surtout du contexte dans lequel un véhicule est mis en situation. 

« La question est toujours de savoir à quel point l’environnement dans lequel la voiture circule crée du risque. Si vous êtes dans un environnement fermé et très controlé, comme Navly à Confluence, ou dans des zones industrielles et d’activités, à ce moment-là, le risque est très faible et la voiture peut conduire en toute sécurité. C’est pour cela que très prochainement nous devrions voir arriver des voitures qui pourront passer en mode totalement autonome dans les embouteillages sur l’autoroute. Car c’est un environnement à très faible risque. » Ces évolutions techniques pourraient par exemple affecter le transport de marchandises. Sur la route de nombreuses heures par jour, les routiers gagneraient du temps de récupération précieux pour leur bien-être, mais surtout pour leur sécurité et celle des automobilistes. Cependant : « Il est très difficile de savoir à quelle vitesse les accidents disparaitront. On entend souvent le chiffre de 90-95% d’accidents évités grâce à la technologie autonome. À l’heure actuelle on considère que 90% des accidents sont liés à une erreur humaine. Donc on se dit que si on arrivait à éliminer complètement l’erreur humaine grâce à la robotisation on pourrait éviter ces accidents là ». Un pourcentage de risques en moins non négligeable pour une entreprise. 

  • La responsabilité des chauffeurs pourrait ne plus être engagée dans quelques années…

L’idée d’éliminer complètement les accidents dans les transports est utopique, car « rien n’est 100% fiable », comme le précise le chercheur au MIT. Dans ce sens, CVT Athéna, cabinet d’expertise en sciences humaines et sociales, traite cet élément dans une étude sur la voiture autonome. Réalisée en Mai 2017, ce dossier admet que « les pouvoirs publics devront étudier de près l’adaptation du régime de responsabilité des conducteurs. Et notamment si les systèmes embarqués de pilotage automatique sont suffisamment fiables pour laisser au conducteur la liberté de vaquer à d’autres occupations au cours du voyage, ou s’il doit rester en éveil constant. ».

« En terme de justice, il est difficile de promettre aux conducteurs de ne plus conduire et de les tenir responsables. »

Marc Clément assure qu’aujourd’hui, la justice « met en cause la responsabilité de l’assureur du véhicule, qui garantit le conducteur. Mais l’assureur a dans l’idée que la responsabilité du chauffeur ne peut pas être engagée, car il ne conduit pas. [Le constructeur peut affirmer] qu’il y a une défaillance qui peut être celle d’un système de balise géré par la ville, soit celle du constructeur, mais pas celle du conducteur. La question est simple : dans un système de voiture autonome, comment fait-on pour identifier les responsabilités ? Juridiquement on peut se placer dans des situations de responsabilité sans faute. On part du principe qu’on a mis à disposition des outils et qu’on est responsable du bon fonctionnement de ces outils… Donc c’est la ville qui est responsable. » Pour des entreprises, comme celles de la ZAC des Gaulnes à Meyzieu, associées à la métropole de Grand Lyon, il existe donc une soupape de sécurité en cas de petits accidents. Le coût d’une expertise étant trop importante, la ville pourrait rembourser les dégâts causés. « On peut imaginer que, comme dans la responsabilité médicale, il y ait des éléments de responsabilité qui soient mutualisés car on estime qu’il y a des risques associés au fonctionnement de l’hôpital et qu’on ne va pas toujours chercher le responsable direct d’une faute d’un médecin. Et on va protéger les victimes en leur proposant une indemnisation. Ce qui permettrait de justifier le fait qu’il est difficile de maintenir la responsabilité d’un conducteur dans un véhicule totalement autonome. En terme de justice, il est difficile de promettre aux conducteurs de ne plus conduire et de les tenir responsables. »

 

PORTRAITS DES EXPERTS 

 

Jean François Bonnefon

À 45 ans, il n’est plus à présenter pour tous ceux qui se sont un jour penchés sur le cas des voitures autonomes. Docteur en psychologie cognitive, il est également directeur de recherche à la Toulouse School of Economics. Il obtient la médaille de bronze du CNRS pour les résultats probants de ses premières recherches. Publié dans plus d’une centaine de revues scientifiques telles que Science, le chercheur est actuellement en poste à Boston, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’institut de recherche le plus prestigieux au monde (plus d’une dizaine de prix Nobel au compteur). Là-bas, il enquête sur les voitures autonomes. Toujours lié à sa spécialité des sciences cognitives, il « étudie les gens, comme on étudierait des ordinateurs très sophistiqués ». Dans le cadre de ses recherches, Jean-François Bonnefon lance le site « Moral Machine », visant à soumettre au public des situations extrêmes qui pourraient pourtant avoir lieu dans des voitures autonomes. Pourquoi ce sujet ? Car « la voiture autonome est un exemple fantastique parce que c’est un domaine où l’IA est sur le point de tout révolutionner avec un objet, la voiture, qui est dans le quotidien de quasiment tout le monde. »

 

Marc Clément

Marc Clément est un magistrat, président de chambre au Tribunal administratif de Lyon. Si de prime abord la robotique peut sembler loin d’être son domaine de prédilection, dans les faits, son avis est tout ce qu’il y a de plus légitime. Avant d’exercer une fonction dans le système juridique français, Marc Clément était ingénieur. Après avoir suivi une formation en génie civil à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, il débute une carrière « dans la recherche en matière d’informatique. D’abord à EDF et ensuite dans le groupe Lyonnaise des eaux ». Il y occupe un poste de « directeur adjoint dans le laboratoire responsable de l’intelligence artificielle». Celui qui détient aujourd’hui une place « au comité de déontologie de l’IRSN (l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire) », ou encore au « Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable », se dit lui même influencé par son passé d’ingénieur dans l’exercice de ses fonctions. « Je suis intéressé par l’informatique et le numérique ; ce sont des espaces où il est intéressant d’avoir une compréhension technique de ce qu’il se passe pour pouvoir voir au delà de ce qu’on peut nous raconter ». Cette passion pour les mondes de la robotique et de la magistrature lui permettent d’envisager l’avenir.

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