Depuis cinq ans, la notion de design éthique s’impose dans le domaine du digital. Ce courant souhaite prendre en compte les impacts de la technologie et des services numériques dès leur conception.
Mais, alors que ces idées sont encore nouvelles, est-il possible de concilier design éthique et innovation technologique de manière pérenne ? Pour Charles Perrin, développeur web, la bonne attitude est de trouver la limite entre éthique et innovation.
C’est une bonne question car oui, se limiter en termes d’éthique, c’est limiter l’innovation. C’est clair et net. Pour moi, c’est indéniable. Mais est-ce que l’innovation doit être réalisée à tout prix ?
La limite est très compliquée à percevoir. Le fait est qu’aujourd’hui, les enceintes de Google ou d’Amazon enregistrent nos données ; c’est aussi ce qui permet que cela fonctionne. L’enceinte sait ce qu’il faut exécuter. Donc oui, il y a beaucoup d‘innovations qui sont très intéressantes, mais la question est : dans quel mal tombe-t-on ?
Je connais un développeur de projets. Il a développé un dispositif qui détecte le visage, donne l’âge, indique nos émotions lorsqu’on passe devant la caméra. Puis, l’écran affiche des informations, qui servent notamment pour la publicité ciblée. Techniquement, c’est très intéressant, mais on peut se demander : « quels problèmes ce dispositif va-t-il causer demain ? Est-ce qu’on n’est pas déjà assez bombardés ? Cela pose de réelles questions dans le milieu pour savoir quelles sont les limites de l’innovation.
Si on s’impose des limites de ce type-là, on va contraindre l’innovation, c’est sûr ! Mais est-ce qu’innover à tout prix vaut le coup si c’est pour enlever des droits aux gens, à terme ? Par-contre, tout le monde est sur Facebook, les gens ne connaissent pas un quart du fichage qu’ils subissent, ils ont tous une adresse Gmail, ils stockent leurs données sur des serveurs aux États-Unis où il n’y a pas la même protection qu’en France. Chose que nous, on ne fait pas par exemple. Une des bases qu’on propose à nos clients, c’est que tous nos serveurs sont hébergés en France ou a minima dans l’UE pour avoir la législation européenne sur les données.
Tout cela, c’est du fichage, et en même temps, c’est tellement pratique qu’on se dit « oui mais je l’utilise quand même, je n’ai rien à cacher ». Il faut être conscient que sur Internet il n’y a pas d’anonymat. C’est peut-être même sur le Web qu’il y en a le moins. Moi, j’ai accepté que ce que je fais sur Internet soit rendu public. On doit donc se demander si c’est de l’innovation ou du flicage.
Certains clients veulent qu’on mette de la géolocalisation alors qu’elle ne sert pas forcément à quelque chose. Dans ce cas, notre rôle est de leur dire qu’ils doivent en informer l’utilisateur. Et pour d’autres clients, ajouter la géolocalisation à leur site a du sens et fait gagner du temps à tout le monde. L’innovation en elle-même n’est pas mauvaise.
C’est l’utilisation d’un outil, sa conception, qui peut que faire que même si on avait l’impression qu’il était intéressant, il va devenir un monstre et est néfaste pour l’humanité. Parfois, on voit aussi l’inverse. On essaie de protéger un maximum l’utilisateur et il vient vers nous en disant que cela n’est pas pratique. Par exemple quand il doit rentrer à chaque fois ses informations de connexion. D’un côté on a envie de les protéger et parfois, quand on le fait, les utilisateurs ne sont pas contents. Ils ne trouvent pas cela assez ergonomique ou trop long. Notre client revient alors vers nous et demande que l’on fasse comme tous les autres. Ça montre que le public adhère au système.
C’est vrai qu’il y beaucoup de normes qui font que c’est principalement une question de sensibilisation des utilisateurs. Ils ne sont pas assez formés pour le numérique. Il faut absolument qu’ils aient envie d’aller creuser, de savoir ce qui se passe autour de tout cela. C’est pour cette raison qu’on a toujours cette limite entre l’innovation, l’éthique, les besoins du client et la norme.Il y a beaucoup de normes aujourd’hui qui conviennent à tous, dictées par les grands groupes comme Facebook. Elles se mettent en place et peuvent empiéter sur la vie privée des gens.
En même temps, s’ils ne l’ont pas, ils ne sont pas contents. Donc nous, on se demande ce qu’on fait. Souvent, la réponse dépend du client qui fait son choix. Mais entre perdre 60 % parce que la connexion est trop longue et garder ces 60 % qui sont de futurs clients, le choix est rapide. On est toujours sur le fil du rasoir.
En savoir plus sur Charles Perrin
Après un DUT d’informatique, des études d’informatique en Écosse et l’école Science-U de Lyon, Charles Perrin a décidé de créer son entreprise ; un souhait qu’il avait depuis le début de ses études. Mais il n’a pas tenté cette aventure seul et était accompagné de deux amis rencontrés en Écosse. Ils ont alors créé Dixeed, entreprise lyonnaise spécialisée dans le développement de solutions numériques.
Pour cette jeune équipe, aujourd’hui composée de quatre personnes, être leur propre patron était avant tout la solution pour décider des projets qu’ils allaient créer. « On avait tous une place, c’était des expériences intéressantes mais on ne se reconnaissait pas forcément dans les boîtes dans lesquelles on était. Cela nous permet de travailler avec les gens qu’on veut, de ne pas être dirigés que pas le business mais aussi par l’idéologie. » Aujourd’hui, Dixeed souhaite s’agrandir un peu, mais surtout continuer à avoir la liberté de choisir des projets qui lui tiennent à cœur.