Face à des internautes de plus en plus méfiants, l’univers de la publicité cherche à montrer patte blanche par divers moyens. Constitution de réglementations interprofessionnelles, articulation du discours publicitaire autour de valeurs plutôt que de produits… Ces stratégies assurent-elles pour autant une publicité plus éthique ? Pour certains, cette expression relèverait presque de l’antithèse.
À n’en pas douter, Frédéric Bordage est un passionné en la matière. Depuis 15 ans, il pilote le collectif Numérique Responsable et est co-fondateur de greenIT, un groupement d’entreprises et d’individus engagés.
Frédéric Bordage articule cet engagement autour de trois axes : “le numérique responsable, c’est prendre en compte les 3 P du développement durable : “planet – people – profit”.” Or, pour lui, la réduction des impacts environnementaux du numérique est fortement liée à l’économie de l’attention.
Le schéma est simple : plus le service numérique est épuré et performant, moins l’internaute y consacrera du temps de cerveau disponible et moins il y aura d’impacts environnementaux. Alors, Frédéric Bordage tente de concevoir des sites web où les internautes passent le moins de temps possible. Pour cela, il supprime le “gras numérique”. Comprenez : tout ce qui détourne l’internaute de ce pour quoi il est sur un site internet. “La publicité la plus “éthique” est celle qui ne capte pas plus d’attention que nécessaire et qui ne joue pas avec des biais cognitifs, comme c’est le cas dans l’économie de l’attention”, définit-il.
(Pour en savoir plus sur l’économie de l’attention, lire l’article « Le design éthique fait bouger les lignes de code« .)
Vers une publicité plus sobre
Une publicité éthique ne chercherait donc pas à tout prix à vampiriser l’œil, le cerveau et le clic d’un internaute. Mais pour Stéphane Martin, communication et attention sont indissociables. “Tout émetteur, in fine, veut attirer l’attention d’un récepteur et la conserver”, rappelle-t-il.
Le directeur de l’ARPP lie ces stratégies de fidélisation à celles des feuilletons que l’on trouvait aux débuts de la presse, ou encore aux stratégies qui nous tiennent en haleine entre les épisodes de séries sur Netflix. Cette situation se complexifierait même aujourd’hui.
Stéphane Martin parle d’“une masse de concurrence sur l’attention”, provoquée par la démultiplication des émetteurs sur le net. Tout le monde peut aisément promouvoir ses produits ou services en ligne. De nouveaux acteurs émergent, comme les influenceurs et les contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux.
Alors, si la publicité dépend de la captation de l’attention des internautes contre leur volonté, mettre en place de la publicité numérique éthique reviendrait-il à… supprimer la publicité ?
Pour Frédéric Bordage, le problème vient de “l’overdose de publicité. (…) On agresse les gens donc cela ne marche pas !” Il n’hésite pas à déclarer : “Nous sommes dans une démarche anti-pub. Cela ne signifie pas que nous soyons “pour” ou “contre” la publicité. Nous nous appuyons sur des standards d’éco-conception (la norme ISO 14 062) pour réduire les impacts environnementaux, et dans cette démarche, nous devons enlever tout le gras numérique.” Face à ce modèle voué à disparaître, Frédéric Bordage envisage d’autres solutions de publicité, plus proches de la définition étymologique de ce terme.
Si la publicité dépend de la captation de l’attention des internautes contre leur volonté, mettre en place de la publicité numérique éthique reviendrait-il à la supprimer ?
“Transformer ses clients les plus satisfaits en VRP”
“La publicité, c’est rendre public, donner connaissance d’un fait” souligne le pilote de Numérique Responsable. Inutile alors de rendre des internautes captifs sur un site web. Pour lui, la meilleure forme de publicité est la recommandation : “Nous voulons offrir un service numérique qui soit tellement bon que la publicité n’y est pas nécessaire et se fait par bouche à oreille, propose-t-il. On peut faire de la publicité éthique en informant correctement les gens, en transformant ses clients les plus satisfaits en VRP, en commerciaux”. Miser sur la satisfaction de ses consommateurs, le pari est de taille mais rendrait la publicité obsolète. Frédéric Bordage envisage également les modèles déjà connus de l’affiliation et de l’intermédiation.
La recommandation, nouveau visage de la publicité ?
D’après l’étude “Trust in advertising” de The Nielsen Company en 2015, la confiance des consommateurs se porterait en première position sur les recommandations des proches, à 67 %, puis sur l’avis des consommateurs en ligne, à 47 %. La publicité en ligne n’apparaitrait qu’à la 13e position, avec 29 % des consommateurs faisant confiance à la publicité sur les moteurs de recherche. Si on suit ces chiffres, le modèle de la recommandation devrait naturellement être accepté par les consommateurs.
Mais Gildas Bonnel, directeur de l’agence de communication Sidièse et président de la commission développement durable de l’Association des Agences-Conseil en Communication (AACC), s’y oppose fermement.
Cela impliquerait, selon lui, une relation d’argent dans des relations personnelles qu’il ne souhaite pas : “Il est tellement facile de merchandiser les relations sur les réseaux sociaux.” Mais cela n’est pas la seule crainte de Gildas Bonnel. Pour lui, s’attaquer au modèle publicitaire actuel, c’est se tromper de cible. Le futur qu’il présage pour la pub est bien plus dangereux…
Pour Gildas Bonnel; s’attaquer au modèle publicitaire, c’est se tromper de cible.