À LA SOURCE DE L'INFO | Épisode 7
16 juillet 2020

Mexique : journalistes à la vie à la mort

par Lionel Brossard

Connu pour ses destinations touristiques autant que pour le narcotrafic et la corruption qui gangrènent le pays, le Mexique affiche l’un des taux les plus haut de meurtres de journalistes. L’impunité demeure face à ces crimes qui se multiplient et font du pays une terre de tous les risques pour les journalistes.

 

Photo de manifestation avec une banderole de soutien aux journalistes tués.
La population mexicaine manifeste régulièrement, comme ici à Acapulco en 2017, pour demander le respect des libertés de la presse au nom de l’enjeu démocratique. Photo : Laura Reyes

Au Mexique, un journaliste se fait assassiner presque tous les mois. Dix en 2019, huit en 2018, onze en 2017, dix en 2016… Rien que pour l’année passée, 26% des journalistes tués dans le monde l’ont été au Mexique selon les chiffres de Reporters sans frontières (RSF). La situation particulièrement préoccupante, accompagnée d’une impunité des plus totale pour ces crimes, laisse le pays pointer à la 144e place du classement mondial pour la liberté de la presse sur 180 nations.

Malgré une augmentation mondiale de 18% des meurtres de journalistes ces cinq dernières années, l’Unesco observe un changement marquant quant aux caractéristiques de ces crimes. « Au cours des deux dernières années, 55% des journalistes tués l’ont été dans des zones qui n’étaient pas en conflit », explique Mehdi Benchelah, ancien journaliste et responsable en charge du plan d’action des Nations unis sur la sécurité des journalistes à l’Unesco. « C’est une tendance nouvelle. De plus en plus de journalistes sont tués parce qu’ils enquêtent sur des questions de corruption, des questions sensibles, et ils sont proprement exécutés pour les faire taire. »

Les commanditaires jamais dérangés

 

Eric Pacheco Beltran, journaliste correspondant pour Poceso à Querétaro. Capture Youtube.

Au Mexique, le narcotrafic et la corruption règnent en maîtres et les journalistes qui s’approchent de trop près de ces affaires risquent leur vie. « Concernant les meurtres de journalistes, on ne relie pas, du côté de la justice, le crime avec le travail du journaliste, évoque Eric Pacheco Beltran, journaliste correspondant pour la revue Proceso, dont le frère, également journaliste, a été assassiné en 2016. C’est une histoire qui se répète dans la majorité des cas. Les autorités préfèrent dire que le journaliste a été tué pour une autre raison et finissent par laisser les affaires dans l’impunité. La plupart du temps, il y a des intérêts derrière qui font que ça en reste là. »

« La plupart du temps, il y a des intérêts derrière qui font que ça en reste là »

 

Cette analyse tend à se confirmer au vu des chiffres de l’Unesco. L’organisme compte 97 journalistes assassinés, entre 2006 et 2018, et dénombre seulement huit cas résolus. « S’il y avait réellement une volonté d’éclaircir la question des crimes contre les journalistes au Mexique, il faudrait commencer par regarder du côté des dernières recherches du journaliste », accuse le correspondant de Proceso.

Jovana Espinosa Orta, une autre journaliste et militante auprès d’Amnesty Internationale abonde dans ce sens : « La justice trouve, au mieux, celui qui a tiré la balle mais jamais celui qui a commandé le tir. Car c’est toujours quelqu’un de très puissant dont les intérêts ont été touchés. » Si l’homme de main est parfois écroué, les commanditaires restent non identifiés.

 

De la censure par balle à la censure économique

 

Mehdi Benchelah, ancien journaliste aujourd’hui membre de l’Unesco. Capture Youtube.

Les meurtres s’accumulent et les responsables ne sont jamais dérangés. « C’est une situation très alarmante. Cela envoie le message que, tuer un journaliste n’entraîne que peu de conséquences. Cela entraîne évidemment une autocensure de la part des journalistes et une perte d’accès à l’information pour la société », développe le responsable de l’Unesco. En effet, la terreur générée par ces meurtres chez les journalistes qui, pour certain, s’autocensurent, prive la société de l’un des piliers de la démocratie.

Certains États mexicains comme Veracruz, Guerrero ou ceux longeant la frontière américaine sont reconnus comme particulièrement dangereux pour les reporters. C’est dans ces vastes zones montagneuses, parfois désertiques, que le crime organisé se concentre et gangrène l’économie et la politique locale.

Même dans les États moins touchés par la criminalité, les journalistes vivent sous de fortes pressions des cercles de pouvoir. La publicité diffusée dans la presse, qui rémunère l’activité journalistique, est contrôlée par l’État. Ce dernier alloue à la publicité une part importante de son budget et est un acteur financier indispensable pour tous les titres de presse mexicains.

Cartographie meurtres journalistes au Mexique
L’Unesco a localisé les meurtres de journalistes dans le monde depuis douze ans. Capture : Unesco.

 

À Querétaro, État au centre du pays, la criminalité organisée est encore peu installée et les journalistes moins menacés. Eric Pacheco Beltran y a fondé un média local, Libertad de Palabra, et explique comment les autorités exercent une censure économique sur la presse : « Au média qui est critique, on lui retire la publicité pour le punir et celui qui diffuse la version officielle des autorités du gouvernement on lui alloue des publicités. Cette partie économique, le gouvernement l’utilise pour exercer une pression indirecte sur les médias. »

Ce fonctionnement, il en fait les frais puisqu’à la suite d’articles critiques sur divers acteurs politiques locaux, ses droits à la publicité officielle ont été supprimés. Quand ce ne sont pas les balles qui censurent, ce sont les cordons de la bourse.

Clément Detry, correspondant pour le Monde Diplomatique au Mexique. Capture.

Il suffit d’un rapide coup d’œil à la liste des journalistes assassinés pour se rendre compte d’un détail qui a son importance. Les journalistes tués au Mexique sont des journalistes locaux et jamais des correspondant étrangers. Pour Clément Detry, correspondant pour le Monde Diplomatique, cela s’explique en deux principales raisons. Tout d’abord, les correspondants étrangers vivent dans la capitale et non en région. Ils sont ainsi à la fois physiquement éloignés des cercles criminels mais aussi bien mieux entourés d’organisation de défense de leurs droits.

L’autre raison évoquée est la précarité des journalistes locaux : « Les reporters locaux, en raison de leur précarité, sont davantage amenés à travailler également comme fixeur et après continuent de vivre au même endroit, déplore Clément Detry. Parfois ce travaille de fixeur met leur vie en péril. » Cette même précarité les rend plus facilement corruptible et les pousse à prendre des risques parfois démesurés. Tous les journalistes assassinés depuis 2013 au Mexique exerçaient en région, loin de la capitale, la plupart du temps pour des médias locaux.

 

L’Etat mexicain prend des engagements

 

Face à cette situation qui menace toujours plus le fonctionnement démocratique du pays, la communauté internationale a décidé d’agir. En mars 2019, Reporters sans frontières a décidé de saisir la Cour pénale internationale (CPI) pour une centaine de crimes impunis allant de 2006 à 2018. À cette occasion, le directeur du bureau Amérique latine de RSF, Emmanuel Colombié, a déclaré : « Face à cette déferlante d’attaques et d’assassinats, le gouvernement d’Andrés Manuel Lopez Obrador (NDLR : président du Mexique) doit prendre la mesure de la gravité de la situation et engager les réformes courageuses auxquelles il s’est engagé. »

Dans une logique de concertation, l’Unesco a organisé avec les autorités mexicaines, le 7 novembre 2019 à Mexico, un séminaire international pour combattre l’impunité des crimes contre les journalistes. Un événement totalement nouveaux dans le pays où les acteurs locaux, étatiques, associatifs, internationaux et non-gouvernementaux se sont assis à la même table pour améliorer la situation des journalistes.

« On attend de voir la mise en œuvre de toutes ces annonces »

À la suite de cet événement, les autorités mexicaines ont annoncé, un certain nombre de mesures pour essayer de d’améliorer la situation. Entre autres une fortification du mécanisme de protection des journalistes qui existe déjà, la création d’un fond pour le journalisme d’investigation mis en place et administré par l’Unesco, ainsi qu’une couverture sociale pour les journalistes freelance.

Le gouvernement mexicain a également annoncé qu’il allait étudier les 104 recommandations faites par les Nations Unis pour réformer le système judiciaire et le rendre plus efficace.

Mehdi Benchelah, membre de l’Unesco en charge de l’événement se félicite de ces bonnes volontés affichées : « Ça montre qu’il y a la possibilité que cela évolue dans la bonne direction. Evidemment on attend de voir la mise en œuvre de toutes ces annonces.

 

« Le futur semble assez décourageant »

 

Les organisations internationales se montrent plutôt optimistes quant à l’amélioration à venir de la situation, et sur le terrain, les journalistes ne baissent pas les bras non plus. Pour Jovana Espinosa Orta, il existe encore des sphères de liberté pour les journalistes : « Il y a des espaces de libre expression qui s’organisent grâce aux réseaux sociaux, ou qui sont créés par des journalistes indépendants. On doit continuer d’écrire cette histoire, la raconter pour que les générations suivantes n’oublient pas. »

Eric Pacheco Beltran qui a déjà perdu son frère dans le combat pour l’information conclut : « Le futur semble assez décourageant, mais ce qui nous reste à faire, c’est de continuer à demander des réponses à l’Etat pour qu’il garantisse la liberté d’informer. »

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