20 août 2020

Réalité augmentée et presse écrite, vers la fin d’un long chemin de croix

par David Sanon

Depuis 2010, des expériences tendant à appliquer la réalité augmentée au journal papier se multiplient avec des fortunes diverses. Une nouvelle génération d’outils comme Snappress (2017) renforce l’espérance de survie du print.

Elle décrit la lecture d'une image à partir d’un code
Lecture d’une image à partir d’un QRcode

C’est à la fin du siècle dernier que la réalité augmentée s’est révélée au grand public. Mais l’origine de la technologie remonte au cinéaste américain Morton Heilig. en 1962, a créé un casque nommé Sensorama permettant de simuler des scènes du quotidien. Dans les années 2010, on a senti monter l’enthousiasme pour cette technologie. La raison ? L’arrivée d’outils de création simples comme Layar (2009) et Blippar (2011). Le nombre de « tests » explose avec leur apparition, même s’il faut reconnaître que cela a suscité  peu d’intérêt à l’époque. On peut même dire que les éditeurs ont juste essayé de faire un coup de « com » sans plus. Puis de 2014 à 2016, il y a eu comme un passage à vide.

Il faut attendre 2017 pour avoir ce qu’on pourrait considérer comme un renouveau. Cela correspond à l’émergence d’une nouvelle génération d’outils comme SnapPress en France (créer en 2016). Avec ces outils, le pari d’intégrer la réalité augmentée directement dans le processus éditorial semble en marche. L’évolution de la technologie donne beaucoup d’espoir à la presse écrite qui traverse des moments difficiles. Son lectorat baisse de façon drastique à cause des technologies de l’information et de la communication conjuguées aux nouvelles habitudes de consommations de l’information.

Nombreux sont ceux qui ont cru en la réalité augmentée comme étant une panacée aux maux du doyen des médias. En effet, cette technologie émergente conquière chaque jour de nouveaux domaines tels que les jeux vidéo, la santé, le cinéma, le design etc. Mais son application à la presse tarde à se faire. S’il est vrai que des lueurs d’espoir commencent à scintiller, la réalité augmentée a tout de même eu de la peine à mettre la presse écrite dans son sillage. Cela lui vaut d’être toujours considérée comme un nouveau phénomène. Mais il faut se souvenir que les premières tentatives de conquête de la presse datent déjà d’une dizaine d’années.

 

Qu’est-ce que la réalité augmentée ?

 

Depuis plus de 60 ans cette technologie se développe, s’affine mais reste inconnue du grand public. Malgré sa relative longévité, elle continue de traîner beaucoup de confusions autour d’elle. Selon Serge Miguet, professeur d’Informatique et responsable de la spécialité « Conception et Intégration Multimédia » de l’Université Lumière Lyon 2, la réalité augmentée est souvent confondue avec d’autres technologies que sont la réalité virtuelle et la réalité mixte.

La presse écrite menacée
Pendant combien de temps ces journaux tiendront-ils la concurrence des TICs

 

Le principe de la réalité augmentée est d’ajouter de l’information sensorielle à la réalité concrète de l’utilisateur. Elle va au-delà de la surimpression et de l’affichage que certains journaux proposent. Les objets virtuels qui apparaissent doivent réellement faire partie de l’environnement de l’utilisateur. Cela évite tout malaise chez l’utilisateur et l’entraine plutôt.

Pour Frédéric Gargaud, journaliste ayant produit un mémoire et beaucoup de travaux de recherche sur le sujet : « La réalité augmentée c’est l’ajout en temps réel, c’est important, d’une surcouche d’informations numériques sur notre environnement réel. Il permet d’apporter l’information la plus pertinente pour l’utilisateur dans le contexte précis où il se trouve. C’est-à-dire que ce n’est pas n’importe quelle information, c’est l’information qui tient compte de son contexte et qui est nécessaire à l’utilisateur au moment où il s’y trouve. Pour moi c’est ce que ça peut permettre et que ça doit permettre la réalité augmentée dans un contexte médiatique ».

« La réalité augmentée c’est l’ajout en temps réel […] d’une surcouche d’informations numériques sur notre environnement réel. Il permet d’apporter l’information la plus pertinente pour l’utilisateur dans le contexte précis où il se trouve » – Frédéric Gargaud

Les appareils utilisant la réalité augmentée disposent de plus en plus de capacités. Aujourd’hui on utilise le téléphone pour faire apparaitre des éléments 3D dans l’environnement de l’utilisateur. Pour arriver à ces résultats, il y a des ressources qui permettent de programmer les actions que l’on prévoit de mener. On les appelle « outils de pré-développement » et certains en matière de réalité augmentée sont proposés par Apple et Google. Ce sont en occurrence « ARKit » et « ARCore ». Après le développement de l’outil il y a des appareils, des caméras qui permettent de faire de la capture volumétriques. Il s’agit de faire des photos 3D, qui sont une reconstitution 3D de quelque chose de physique. C’est ce qui permet à un journaliste, lors d’un accident par exemple, de modéliser la salle d’hospitalisation qui accueille les blessés, pour sortir des images 3D de l’intérieur de la salle. Ces images intégrées à son article permettent à l’utilisateur qui dispose d’un lecteur adapté de vivre la réalité de la salle comme si il y était.

 

Réalité augmentée et presse écrite, des expériences qui inspirent

 

L’adaptation de la réalité augmentée à la presse écrite est très difficile mais des avancées sont tout de même observables. L’utilisation de la réalité augmentée dans la presse écrite a commencé par de la reconnaissance d’images sur papier. Selon les explications de monsieur Gargaud, c’est au début des années 2010 que la réalité augmentée a commencé à être utilisée dans la reconnaissance d’images à partir du papier.

Un numéro spécial en réalité augmentée du « Courrier international »

Des journaux américains et des journaux français s’en sont aussi servi, surtout dans une vocation plutôt publicitaire. Ils ne se sont pas tellement portés sur le contenu. Mais en ce qui concerne la réalité augmentée en tant qu’application, c’est le Washington Post qui commence parmi les premiers en 2016. C’est la première vraie expérience dans un média d’envergure. Autant dire que l’expérience d’utilisation de la réalité augmentée dans la presse est très récente pour le lecteur.

Bien avant cette expérience américaine, en 2013 le « Tokyo Newspaper » au Japon est allé à la conquête de jeunes lecteurs. Pour y arriver il a adapté son contenu aux plus jeunes en le digitalisant avec l’appui de l’agence de communication Dentsu qui propose une application Iphone. L’application utilise la surimpression des contenus adressés aux adultes, et simplifie les sujets pour les rendre plus accessibles aux jeunes sous un aspect ludique. Cette solution donne des pistes intéressantes pour la survie du journal papier. En effet, elle satisfait aussi bien ceux qui veulent continuer à tenir leur papier en main que ceux qui sont adeptes des écrans tactiles.

La Snowboardeuse Anna Gasser en réalité virtuelle via l'application du N-Y Times lors des Jeux Olympiques d’Hiver 2018
Une athlète en réalité virtuelle via l’application du N-Y Times lors des Jeux Olympiques d’Hiver 2018 crédit: Graham Roberts/The New York Times

Le New York Times, premier journal à être passé totalement au numérique, a saisi l’occasion des Jeux Olympiques d’Hiver 2018 à PyeongChang en Corée du Sud, pour expérimenter la réalité augmenter sur mobile. Le journal a suivi les entraînements de quatre athlètes américains avec tous les détails spécifiques sur leurs équipements et techniques sportives.

Le principal reproche que l’on a pu faire à cette innovation, c’est qu’elle n’est accessible que sur Iphone et IPad. Même s’ils ont annoncé à l’époque une version Androïde en cours de développement, cela montre que l’accès à un type d’équipement peut constituer un facteur bloquant pour l’accès à l’information. Même Selon Monsieur Gargaud, les blocages dus aux appareils et autres équipements sont en voie de disparaître. Car il y a de plus en plus de solutions au stade de test avec les smartphones.

 

Une cohabitation à penser 

 

Quand on demande à Didier Puzenat, professeur des universités et responsable du Master 2 Programmation et Développement de jeux vidéo à l’Université Lumière Lyon 2, si la réalité augmentée peut contribuer à réconcilier les lecteurs avec la presse papier, il répond : « Ça dépend. Un bon début serait l’arrêt des articles « pute a clic », les articles recopiés d’autres articles sans les comprendre, les pubs déguisées en articles qui rapportent sûrement beaucoup au journal mais ruine sa crédibilité, etc.» Gregory Maubon, président de l’association de promotion de la réalité augmentée, quant à lui trouve cette question très compliquée.

Pour lui, étant donné que les différents publics réagissent différemment, le fait de mettre de la réalité augmentée avec une vocation ludo-pédagogique sur un titre de la presse jeunesse à vocation de découverte est probablement un plus. Il explique aussi qu’on peut imaginer que dans des revues techniques, la réalité augmentée est également un plus mais de là penser que cela peut attirer de nouveaux lecteurs lui semble utopique. Il est convaincu que si c’était aussi simple que cela, de nombreux titre de presse proposeraient de la réalité augmentée.

Il y a aujourd’hui de plus en plus de journaux, notamment américains, qui utilisent la réalité augmentée. Même si cette utilisation s’inscrit plus dans des tests de prototypes que dans quelque chose d’industrialisé et à grande échelle. Cependant les expériences continuent. Ces journaux sortent des productions agrémentées de réalité augmentée malgré que cela ne leur rapporte pas forcément de trafic supplémentaire sur leur site et qu’ils ne monétisent pas encore concrètement ces expériences là. On peut néanmoins avancer que cela leur permet d’acquérir une expérience dans la conception d’un journalisme en 3D. Au moment de la généralisation de cette utilisation, ils auront au moins acquis une expérience qui leur permettra d’être bien en place.

 

Repenser l’appropriation de la réalité augmentée par la presse

 

La principale préoccupation de la presse aujourd’hui doit résider au niveau de l’appropriation de la réalité augmentée. Comment tirer ce qui peut être bénéfique pour un essor de la presse écrite ? Les rédactions ne doivent pas se lasser de chercher la réponse à cette question. Les créateurs de solutions numériques ne s’arrêteront pas d’innover. C’est maintenant aux médias de voir ce qui se fait afin d’exprimer avec le plus de précision possible leurs attentes.

Les médias doivent ensuite revoir leur mode de fonctionnement. Par exemple la question de mise à niveau des ressources humaines est cruciale. Selon Didier Puzenat « il faudrait aussi engager des journalistes avec un minimum de formation scientifique pour couvrir les sujets scientifiques, etc. Dès lors, une fois ces points traités, « oui » la réalité augmentée peut probablement améliorer encore davantage. »

Car si celui qui doit produire des images n’a pas un minimum de connaissances scientifiques, les résultats peuvent être catastrophiques pour son du média. Une collaboration entre titres de presse et les développeurs visuels dans le domaine de la réalité augmentée est nécessaire. Il s’agit clairement pour les médias d’être impliqués comme acteurs de cette transformation.

Comme évoqué plus haut la réalité augmentée pourrait tenir une place importante dans l’avenir de la presse écrite. Selon Gregory Maubon, pour que cela soit, il faut considérer que la partie technique soit intégrée à la création du produit de presse. Mais cela n’est faisable qu’à condition que le contenu augmenté soit intéressant. Cela suppose en particulier des compétences de création différentes de l’écriture. Il s’interroge sur l’engagement des médias de presse actuels dans cette voie vu que leurs priorités portent essentiellement sur la réduction des coûts. Avant de conclure : « Peut être que les nouveaux médias de presse un peu plus hybrides pourront en tirer meilleur avantage ».

« Peut être que les nouveaux médias de presse un peu plus hybrides pourront en tirer meilleur avantage » – Gregory Maubon

La puissance de la réalité augmentée dans la publicité est connue. Comment l’appliquer à la presse écrite sans la polluer avec la communication et les messages publicitaires ? La réponse à cette question doit servir de boussole aux médias. En tant que technologie la réalité augmentée peut contribuer à un renouveau de la presse mais seule elle n’est pas suffisante. Elle doit être considérée comme un outil à côté des autres outils que sont le management, le modèle économique ou la gestion des ressources humaines. La considérer comme une solution miracle peut s’avérer dangereux. La confiance qu’inspirent les médias quand ils sont professionnels peut prendre un coup dur si la publicité prend le dessus. Son application à la presse écrite doit être entourée de précautions adéquates.

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