Les médias sont en pleine mutation, en crise, diront certains. A la recherche de nouvelles identités, de nouveaux formats et de nouveaux modèles économiques, les pratiques se réinventent. Les différents métiers des médias ne peuvent plus être cloisonnés mais connectés. C’est en tout cas ce que prône la Medialab Session qui s’est déroulée à Lyon du 13 au 15 mars dernier. Objectif : créer un média innovant en 48heures.
« N’avez-vous jamais rêvé de créer les médias de demain ? ». C’est la mission relevée par cinq équipes de journalistes, entrepreneurs, designers et développeurs à l’atelier des Médias le temps d’un week-end. Ce marathon créatif est parrainé par Fabio Lo Verso, le fondateur du journal La Cité, partenaire de Médiapart et auteur du « Manifeste pour une nouvelle presse ».
A l’occasion de la Medialab Session , ces équipes ont essayé de trouver des solutions pour les médias, et d’apprendre à utiliser les compétences de chacun. En 48 heures, cinq projets de média innovant ont donc été inventés, avec l’aide de professionnels qui jouaient le rôle de mentors, comme Olivier d’Arfeuille à l’origine de l’édition pirate Charlie Héros réalisée en 48 heures après les attentats, Bertrand Enjalbal le datajournaliste de Rue89Lyon ou encore le développeur Maxence Delmais. Pour Romain Saillet, le fondateur des MediaLab Sessions et ex-journaliste pour OWNI, le site dédié aux cultures numériques, ce laboratoire éphémère montre aux journalistes l’importance d’utiliser tous les outils à leur disposition :
« On demande aux journalistes de plus en plus de compétences, mais je vois plutôt le journaliste comme un chef d’orchestre, qui doit savoir aussi bien communiquer avec des web développeurs qu’avec des entrepreneurs. Ici, on se demande comment raconter de nouvelles histoires avec le numérique et quels seront les modèles économiques de demain. »
Le nouveau journalisme casserait-il la toute puissance de la rédaction en chef pour laisser carte blanche à des équipes pluridisciplinaires ? Ce qui semble en tout cas certain, c’est la volonté des journalistes de se rapprocher des développeurs afin d’utiliser pleinement les possibilités qu’offre le web, avec l’exemple du datajournalisme, des webdocumentaires ou des newsgames.
Entre jeu vidéo et reportage
Au terme de cette Medialab Session, les participants ont présenté leur projet en 5 minutes face à un jury de professionnels composés notamment de Dalya Daoud, la rédactrice en chef de Rue89Lyon ou encore de Charles Dufresne, ex-Radio France et en charge de l’European Lab.
Les membres du jury ont choisi le projet « Sasuraï » basé sur les « newsgames », des jeux d’informations. L’équipe de Sasuraï a l’intention de « combattre le syndrome de la zapette ». Et pour garder un auditeur intéressé par une information parfois complexe, quoi de mieux qu’un jeu ? «Pour se faire une idée de ce qu’il se passe à Sivens aujourd’hui, il faut lire beaucoup d’articles de médias différents sans se sentir perturbé par des appels incessants pour jouer à Candy Crush… Imaginez un jeu qui vous permet à la fois d’incarner un zadiste ou un policier sur place, de comprendre les enjeux en devenant acteur et non en restant simple spectateur » explique Anthony Côte, journaliste indépendant et porteur de ce projet. Associé à Melany Marfella, étudiante en journalisme à l’ISCPA et Florent Dufien, graphiste free-lance, leur projet de boîte de production de NewsGame pour les médias, a reçu le premier prix de la Medialab Session, à savoir un suivi de leur projet par Petit Homme Production et un mois de coworking au Club de la Presse de Lyon.
Les autres « pitches » en compétition
A la deuxième place, ce sont « les Enfants terribles » qui ont attiré l’attention des jurés. L’entrepreneur Xavier Lavayssière souhaite créer un site bilingue qui permettra aux jeunes créatifs français de décrocher des opportunités internationales et de se mettre en relation. Le tout avec des interviews ou des vidéos impertinentes pour « vendre la marque France » autrement. Martin Descours, entrepreneur, Emilie Berthon, directrice artistique dans le digital et Hervé Tardy, consultant en événementiel ont tout de suite rejoint l’équipe pour aider Xavier à construire son projet. Leur volonté est de s’appuyer sur l’image de marque France pour créer des affaires, tout en se finançant grâce à des évènements haut-de-gamme à l’étranger.
Amazing !
Depuis deux ans, Aurélien Marty a un projet en tête : « Amazing ! ». Pour le mettre sur pied à la Medialab Session, il était soutenu par deux journalistes indépendants, Laurent Poillot et Guillaume Bouvy-Vuchkan, et un développeur web, Thomas Ayoub. Leur idée se base sur un site web déjà existant, inspiré par un constat : les tiers-lieux – comme les bureaux partagés, les hackerspaces ou encore les cafés associatifs- devraient avoir les moyens de devenir eux-mêmes des médias pour promouvoir leurs innovations. Leur slogan : « Un tiers-lieu ne se définit pas par ce qu’il est mais par ce que l’on en fait ». Ensemble, ils souhaitent améliorer ce média participatif en travaillant plus précisément le modèle économique et les types de contenu proposé.
(A)typique
Déjà fondatrice d’un magazine papier dans le Languedoc Roussillon, la participante Raquel Hadida a décidé de se lancer sur le web lors de cette MediaLab Session, en imaginant un pure-player , un média uniquement sur internet, sur les personnes atypiques. Deux consoeurs journalistes Christel Leca et Amandine Ascensio, ainsi que le web-développeur Gilles Vincent l’ont aidée à conceptualiser le webmagazine « (A)typique ». Ce site mettrait en avant toutes les singularités, les personnes en décalage avec la société dans des diaporamas sonores par exemple. Il s’agirait également d’utiliser l’interactivité du web pour permettre aux internautes de partager leurs témoignages par différents outils, pour parler de leurs différences cachées, assumées, subies ou choisies.
News New
Les développeurs peuvent aussi sauver les médias ! C’est le pari de Romain Cambonie, président d’une société de développement et de services pour les entreprises, qui veut créer des outils pour attirer davantage les internautes et faciliter le travail des journalistes. Romain Cambonie a présenté un média très interactif, pour mettre le lecteur au centre du choix de l’information. Antoine Milesi, communicant et graphiste à Rock Your Grandma !, l’accompagne dans la réflexion du projet. Avec le site News new, le lecteur choisit de rémunérer un journaliste en particulier et chaque article lui coûte 0,25 centimes. Dans cette somme, 5 centimes iraient à la plate-forme de mise en ligne, le reste irait au journaliste ou au producteur de contenu. « Un article lu 100 000 fois pourrait rapporter 20 000 euros au journaliste. Je pense qu’à ce niveau, ce serait du jamais vu», considère le développeur Romain Cambonie.
Un projet pirate bien huilé !
Une surprise s’est glissée à la fin de cette MediaLab Session. Un participant s’est saisi du micro pour présenter un projet pirate : la baraque à frites de l’information ! Il s’agit du « Plenel Foodtruck ». L’idée est d’avoir un camion ambulant où les clients viendraient acheter des frites et en profiteraient pour lire ou écouter de l’information de qualité, réalisée par des médias et des journalistes indépendants. Le concept « Sauvez la presse avec des patates ! » a conquis le jury. Hors compétition, ce concept créé en 48 minutes par le communicant Antoine Milesi a remporté un prix très spécial: une caisse de pommes de terre et un éplucheur. Un projet qui devrait rouler.