25 juillet 2016

Garedunord.net : un voyage inédit

par Gauthier Itzel

La Gare du Nord, Claire Simon la connait par cœur maintenant. Pendant plusieurs mois, elle y passe ses journées, rencontre et discute avec des inconnus, tente de comprendre le fonctionnement des différents endroits qui constituent « la plus grande place publique de France », comme la réalisatrice aime l’appeler. De ses allées et venues entre les grandes lignes, le Transilien, le RER et les autres niveaux, ont vu le jour quatre productions sur la plus grande gare de Paris, de France et d’Europe : le documentaire, Géographie humaine, une pièce de théatre, le film de fiction, Gare du Nord ainsi que le web-documentaire du même nom.

Garedunord.net, qui s’inscrit dans la dynamique multi-support de Claire Simon, a pour objectif de plonger l’internaute dans un voyage dont il est l’acteur.

Gauthier ITZEL

garedunord

Une nouvelle expérience web

Tout commence en 2011. Laurent Duret, producteur aux Films d’Ici 2, et l’atelier d’architecture transmedia Once Upon, sont mis dans la confidence du projet de Claire Simon et commencent à travailler ensemble sur ce qui doit devenir une nouvelle expérience web.

« Les scénarii de la fiction, les premières images du documentaire, les textes de la pièce de théâtre et des heures de rush », voilà ce dont dispose Once Upon pour commencer le travail, même si Claire Simon a déjà une idée bien précise du résultat qu’elle souhaite obtenir. Les coups de fil s’enchaînent et un repérage est prévu à la gare pour que Once Upon puisse s’imprégner des lieux.

La narration sémantique privilégiée

« Nous avons ensuite réfléchi et conçu la matrice narrative de la scène digitale. De nos échanges, plusieurs éléments sont devenus saillants : la gare est construite sur plusieurs niveaux ; chaque niveau a son univers, ses gens, son rythme ; les flux sont très différents en fonction de l’heure qu’il est. Nous sommes ainsi arrivées à une profondeur de 6 niveaux et à 4 grands moments de la journée. Cela nous permet ainsi de créer un ensemble de 24 tableaux », explique Once Upon.

L’internaute naviguera entre ces différents tableaux grâce à un système de scroll qui lui permettra de choisir son chemin. Le web-documentaire utilisera donc une narration sémantique.

Une fois l’idée à peu près fixée, il faut trouver des directeurs artistiques pour s’occuper de la partie visuelle. LesFreds sont contactés et acceptent d’ « embarquer dans l’aventure de la création d’un site internet “cinématographique” ». Ensemble, l’équipe réfléchit à une navigation graphique en parallaxe. « La parallaxe est l’incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet. En d’autres termes, la parallaxe est l’impact (ou l’effet) de changement de position de l’observateur sur un objet observé », détaille Once Upon.

Franck Maurin, un intégrateur front-end en freelance est rapidement contacté pour confirmer la faisabilité de l’interface. Ensemble, ils décident d’utiliser le HTML 5 pour coder le web- documentaire. Des dossiers de demande d’aide au développement sont déposés au CNC et à la région Aquitaine, dossiers qui seront tous acceptés.

Du développement à la production

Maintenant que les premières aides sont confirmées, l’équipe doit se pencher sur « l’ergonomie des tableaux (charte graphique, transition, enjeux techniques) et réaliser un “tableau démo” pour convaincre un diffuseur de s’engager dans le projet. ». Ce sont LesFreds qui se chargent de la partie ergonomie. Claire Simon commence parallèlement à choisir les histoires qu’elle souhaiterait raconter dans les différents tableaux.

L’idée du tableau démo est de faire une sorte de maquette quasi définitive. Once Upon, Les Freds et Franck Maurin s’en chargent et livre leur réalisation avant l’été 2012.

Près d’un an plus tard, en mars 2013, France 3 Ile-de-France et France Télévision Nouvelles Ecritures rejoignent le projet, ce qui est une très bonne nouvelle. Sans diffuseur, le projet risquait de tomber à l’eau. Mais ce laps de temps assez long qui s’est écoulé entre les phases de développement et de production n’est pas sans conséquence. « Franck Maurin a accepté d’autres missions et n’est plus disponible », révèle Once Upon. L’équipe a donc dû chercher quelqu’un d’autre pour s’occuper de la réalisation technique du site internet en HTML 5 comme prévu.

gare-nord

« Un partenariat gagnant-gagnant »

L’équipe de Once Upon rentre finalement en contact avec Benjamin Hoguet de chez Djehouti. Ce logiciel « a permis de créer toute la structure et les templates du web-documentaire qu’il a ensuite traduit en HTML 5, ce qui facilite les manipulations. Le scroll n’était d’ailleurs pas encore possible dans Djehouti mais son équipe a profité de notre projet pour développer cet aspect du logiciel en même temps. C’est un partenariat gagnant-gagnant », se réjouit encore Méline Engerbeau, fondatrice de Once Upon.

Un financement nécessaire

Une fois l’équipe au complet (LesFreds pour la direction artistique, Djehouti pour le développement et l’intégration et Once Upon pour l’écriture des scénarios interactifs et la direction de projet), il faut maintenant penser à établir un budget et trouver les financements nécessaires avant même de démarrer la production. Le calcul précis du budget est assez difficile à établir, étant donné que certaines scènes et rushes seront repris du film et du documentaire de Claire Simon. Cependant, cette dernière estime le coût du web-documentaire à environ 100 000 euros.

Plusieurs dossiers de financement sont déposés. Le premier à la région Aquitaine et un second au CNC dans le cadre de l’aide aux nouvelles technologies. « Heureusement que ce dernier existe en France car cela représente une grande proportion des aides sans lesquelles je doute que nous puissions nous en sortir », précise la réalisatrice. Les deux dossiers seront acceptés.

Rendu Analyse GareduNord - Gauthier Itzel-1

Un timing serré pour un pari risqué

La réunion qui lance officiellement la production se tient le 14 mai 2013, pour une mise en ligne du web-documentaire prévue le 26 août, soit moins de quatre mois plus tard. Tandis que, d’après Once Upon, « il faut normalement prévoir six à sept mois pour la production d’un projet comme celui-ci ».

Pour limiter les risques de ne pas livrer la production à temps, Claire Simon revoit à la baisse le nombre de tableaux qui passe de 24 à 15, en supprimant un niveau et un moment de la journée. Chaque tableau contient plusieurs vidéos de témoignages recueillis par Claire Simon. En tout, ce seront 69 vidéos pour une durée de 2h41 qui agrémenteront le voyage. Pour ce faire, Claire Simon utilise une partie de rush qu’elle sélectionne dans ses autres productions (film et documentaire) et en tourne une autre dans un délai encore une fois très court : cinq jours. « L’objectif premier de ce web-documentaire, c’est la rencontre. Or, pour rencontrer des personnes qui ont quelque chose à dire, il faut du temps et nous en aurions aimé en avoir plus », se désole Claire Simon.

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A chaque tableau son story-board

Il est impératif également que les équipes trouvent une organisation efficace pour perdre le moins de temps possible, d’autant plus que Méline Engerbeau constate rapidement des problèmes de communication en interne : « il y a beaucoup de choses pour lesquelles chacun avait une définition ou une vision différente. Nous avons donc dû préciser beaucoup de choses par écrit. Nous avons notamment réalisé un story-board ultra détaillé du web-documentaire, ce qui nous a pris deux mois ! C’est beaucoup mais au moins, après, cela va plus vite ». Chaque story-board est ensuite complété et validé par Claire Simon, puis livré aux Freds qui renvoient leur travail à la réalisatrice, qui le revalide définitivement avant que Djehouti ne puisse enfin passer à l’intégration HTML 5.

Par ailleurs, il manque, pendant longtemps, un élément essentiel au web-documentaire : le travail sonore. « Ce n’était en fait pas prévu à l’origine. Mais on s’est rendu compte, qu’il manquait quelque chose. La designeuse sonore a ensuite travaillé d’arrache-pied pour arriver à l’excellent résultat qui est finalement l’un des principaux atouts du web-documentaire », raconte Méline Engerbeau.

Une communication dans la précipitation

Ce n’est qu’environ deux semaines avant la mise en ligne de garedunord.net qu’est lancée la communication sur le projet. Pour Claire Simon et Méline Engerbeau, cela fait partie des flops de l’aventure. FTV qui est en charge de communiquer n’a visiblement pas pu y mettre de grands moyens puisqu’une seule personne est affectée à ce poste. « Par ailleurs, l’URL du web-documentaire qui aurait dûapparaître sur les affiches du film Gare du Nord a été oublié. Nous étions furieux », rajoute Méline Engerbeau qui peut se consoler avec le partenariat Télérama qui apporte à garedunord.net un peu de visibilité dans la presse.

Malgré tout, fin août 2013, le web-documentaire est bien en ligne et les chiffres montrent quand même une audience assez forte durant les trois premières semaines. « Après, on sait aussi que Claire Simon a un public assez spécifique qui la suit tout le temps. Nous n’allions pas faire un carton et ce n’était pas le but », conclut Méline Engerbeau.

Une production entachée par de nombreux bugs

Après avoir visité garedunord.net, il est fort probable que, comme moi, vous reveniez un peu déçus de l’expérience, principalement sur le plan technique. Effectivement, le temps de chargement est long et fréquent, le scroll n’est pas fluide et les consignes de navigation peuvent ne pas être très claires.

Claire Simon en est bien consciente : « 9 fois sur 10, vous pouvez être sûr qu’il va ramer. Il est beaucoup trop lourd à charger. Je ne voulais pas qu’il soit aussi chargé tant au niveau de son poids que de son visuel. Je voulais quelque chose de léger, de spontané et que le hasard fasse les choses. »

Pour Méline Engerbeau, ces problèmes proviennent aussi du fait que « la technique de narration par le scroll était toute récente et il fallait donc la coder très finement. » Un code qui variait suivant, entre autres, l’appareil et le navigateur utilisés, ce qui faisait un trop grand nombre de possibilité qui n’ont pas pu être toutes prises en compte, faute de temps.

 

Conclusion personnelle

Sur le plan de l’expérience utilisateur, je suis évidemment un peu dubitatif du fait des nombreux problèmes techniques qui altèrent forcément la navigation, l’ergonomie et la réactivité du web-documentaire. Il est difficile de s’y plonger lorsqu’on est fréquemment stoppé par des chargements ou blocages. Le design est plutôt réussit même si, aujourd’hui, je le trouve déjà un peu désuet.

En termes de contenu, les interviews sont très bien réalisées et bien montées. On ressent vraiment l’objectif de mettre l’internaute à la place de Claire Simon pour qu’il se sente concerné par la rencontre. Le travail sonore est absolument exceptionnel, c’est clair, bien monté et cohérent aux différents tableaux. Selon moi, le seul point négatif repose ici sur les photographies qui me paraissent très ordinaires voire floue, avec une balance des blancs parfois douteuse.

L’impact du web-documentaire est quant à lui tout à fait raisonnable malgré la campagne de communication peut-être mal gérée. En effet, une dizaine de médias ont parlé de garedunord.net. C’est également un web-documentaire assez intemporel qui pourra très bien être valable encore dans quelques années.

Pour finir, je suis agréablement surpris par le fond du sujet qui est original, intéressant et bien mené. Garedunord.net mériterait d’être plus qu’un simple bonus au film, comme j’en ai le sentiment.

Expérience utilisateur

Ergonomie : 0.5/1
Réactivité : 0/1
Design : 0.5/1
Pertinence du dispositif au regard du propos : 1/1
Critère subjectif : 0.5/1

Qualité des contenus

Qualité technique : 0.5/1
Qualité audio : 1/1
Qualité images : 0.5/1
Qualité enquête : 0.5/1
Qualité de la narration : 1/1

Impact

Mobilisation de réseaux : 0.5/1
Retour professionnel (presse, critiques, prix … ) : 1/1
Durabilité : 1/1
Retombées : 1/2
Subjectivité : 2.5/5

Total : 12/20

 

 

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