Jeu d’influences est un Doc-game réalisé par Julien Goetz, sous la responsabilité de Luc Hermann, journaliste pour France 5. Le serious game est l’une des composantes du grand projet journalistique que gère Luc Hermann et qui porte sur les secrets de la communication d’influences. Ce jeu vient ainsi soutenir trois autres travaux du projet, dont une série de documentaires et un livre (Jeu d’influences : Les stratèges de la communication).
L’objectif du web documentaire est de nous immerger dans le monde de la communication d’influences. Le principe est de supprimer les fausses idées sur le communicant, souvent perçu comme un manipulateur, car c’est finalement le client qui est le véritable décisionnaire. C’est lui qui tranche dans le jeu de communication. En remettant les choix de communication entre les mains du joueur, ce dernier est en mesure de comprendre qui est le véritable protagoniste dans le processus de communication de crise. Il réalise également l’enjeu et l’impact humain de chacun de ses choix.
Il comprend ainsi, et rapidement, la responsabilité qu’endosse un chef d’entreprise particulièrement connu dans le monde de la communication. Dans le Web-documentaire, le recours au spécialiste de la communication est vécu comme un véritable tremplin dans le processus de sauvetage de l’entreprise. On comprend le système de communication mis en place, les liens formés, l’importance des mots, des gestes, des interventions, des contacts et des médias.
Le jeu nous insère dans l’ensemble des « arcanes » qui composent l’univers de la communication, puisque au delà du chef d’entreprise et des agences de communication, on retrouve aussi les médias, les politiques, les proches, les syndicats, et même les citoyens. Le stress est ambiant, lorsque l’on comprend tous ce qui est en jeu.
Une mise en scène qui plonge dans l’ambiance pesante de l’univers de la communication
L’écriture du scénario est parfaitement adaptée « à l’ambiance attendue ». Entre fiction et journalisme, on est parfaitement plongé dans l’univers de la communication. Les quelques dépêches AFP, interventions audio de France Inter et les extraits du faux JT de 13h d’Elise Lucet, apportent un côté réaliste à la fiction. « Certaines scènes sont appuyées de véritables interviews documentaires ou de vrais-faux sujets de JT (Elise Lucet a joué le jeu pour les rendre crédibles), afin de comprendre tous les enjeux de la communication de crise ».
Tout a été pensé pour rendre compte du stress que suscite l’enjeu d’une stratégie de communication lorsqu’on est chef d’une entreprise de renom. Les auteurs ont pris le parti d’une interface assez sobre (on joue d’un clic), constituée de très beaux fonds dessinés signés Fano Loco et de sons alternant entre dynamisme et peur, ce qui permet finalement de mieux s’immerger dans la peau du personnage. L’ambiance est parfois assez sombre, ce qui suggère quelques moments de stress intense. « À chaque chapitre, vos réponses seront comparées à celles des autres joueurs afin de vous situer. Et attention au « game over » en cas de mauvaises décisions.»
Trois jauges sont à la disposition du joueur afin qu’il puisse se repérer dans le jeu :
Stress : Plus la jauge est à son maximum, plus le risque d’atteindre le game over augmente.
Confiance en soi : Il s’agit là du degré de confiance qui existe entre le communicant et le joueur. La jauge doit être assez haute pour assurer l’efficacité du travail de communication. Le game over est atteint lorsque cette jauge est à son minimum.
UBM (unité de bruit médiatique) : elle correspond à un véritable outil de mesure pour les agences de communication. C’est en effet grâce à cela que les communicants notent l’importance d’une information. C’est cet indice de mesure qui permet de juger utile ou non de réagir. Dans le jeu, l’intérêt est de maintenir cette jauge le plus bas possible.
Deux autres variables sont proposées au joueur : le « degrés de culpabilité » et la notion de « flash back ».
Une grande équipe aux compétences diverses
L’expérience professionnelle de Julien Goetz, en tant que comédien, lui permet de se poser les questions pertinentes lors de la création des personnages. Sa formation de comédien lui donne en effet les atouts nécessaires pour « guider celui qui jouera la voix off dans le jeu ». Le réalisateur profite également d’une formation de développeur, à travers laquelle il apprend à coder. C’est ce qui lui permet d’avoir un œil plus vigilant sur le développement interactif du jeu et de sa réalisation.
« J’apprenais à développer des sites internet, donc à travailler avec le code…ce qui est pratique aujourd’hui dans le travail interactif, parce que même si je ne code plus de sites, cette expérience me permet de comprendre un peu le travail des développeurs et de pouvoir dialoguer plus facilement avec eux.»
En amont on retrouve des journalistes qui se sont chargés des enquêtes pour les deux documentaires et le livre, deux musiciens, un illustrateur connu sous le nom de Fano Loco, une équipe de développeurs de l’agence J++, réputée pour son travail très sérieux et de haut niveau dans l’univers interactif. On retrouve également une équipe de coordination technique de France Télévision, pour assurer l’adaptabilité du projet à la charte de diffusion de France Télévision. Une aussi grande équipe nécessite une bonne communication afin d’assurer au mieux le développement du projet.
Des plateformes de communication pour un suivi clair du projet
L’équipe a eu recours à Git, une interface Web hébergée par Github, qui permet de gérer plus facilement le projet sur le serveur distant. Chaque acteur du projet était donc en mesure d’interagir avec les autres au travers de propositions de codes. Toujours dans l’idée de fluidifier la communication technique, les prestataires font appel à un système de « ticketing » qui leur facilite amplement le repérage d’anomalies et des changements fraîchement effectués. Le système est plutôt simple, un ticket est attribué à chaque catégorie d’éléments du site sur une interface de communication.
France télévision met également en place un « Red Mine » pour communiquer avec les autres acteurs. Toutes ces installations participent à la gestion du multi-développement du projet, du point de vue de la communication.
Du code à la pleine fluidité du jeu
Pour proposer une utilisation simplifiée et fluide du jeu, les développeurs ont recours à un framework backend très léger en PHP nommé Slim, notamment dans le but de correspondre à l’architecture imposée par France Télévision.
Deux langages de développement sont utilisés : HTML et Javascript, suffisants pour répondre à l’interactivité que propose le jeu. Pour assurer l’adaptabilité du jeu à n’importe quel navigateur, un Framework front end (Angular) délègue au navigateur des joueurs une grande partie des calculs à effectuer. Et pour ne pas perdre les données initiales lors du transfert précédemment évoqué, l’équipe J++ n’hésite pas à utiliser un système de « versionning ».
Toutes ces techniques permettent au projet de gagner le pari de la fluidité d’utilisation, un critère qui peut être la raison du record atteint en termes de temps passé sur un site. En effet, avec 25 minutes de temps moyen qu’un visiteur passe sur le jeu, le serious game bat tous les records. C’est en effet 15 minutes de plus que la moyenne habituelle. Toutefois, la visibilité du jeu n’affiche pas de résultats aussi glorieux.
Un jeu de communication à la mauvaise communication
L’échec du projet se traduit effectivement par sa stratégie de communication. Malgré les quelques partenaires médias, comme Rue 89, Stratégie, France Télévision, France Inter, il ne profite pas d’une promotion retentissante.
Ce défaut se justifie par le temps faible que chaque partenaire accorde à la présentation du produit. « Nous n’avions aucun véritable plan de communication, c’est d’ailleurs sur ce point qu’on a un peu raté le coche. On n’avait pas énormément de partenaires médias. On n’a pas su faire durer la présence médiatique de cet objet dans le temps », regrette Julien Goetz.
Ce point noir du projet explique également le faible nombre de visiteurs. On compte seulement 100 000 visiteurs aujourd’hui dont la moitié concentrée les premiers jours de la diffusion du jeu. Difficile à accepter lorsqu’on sait que plus de 100 000 euros de budget ont été mobilisés pour la création du jeu. Ce qui n’a cependant pas empêché Jeu d’influences de connaître une très grande reconnaissance aux yeux des professionnels de l’interactif, et d’avoir été récompensé du prix de la meilleure oeuvre transmédia internationale au Lièges Web festival.