Si le Palais des Papes est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, il ne compte pas pour autant perdre sa réputation si dignement acquise il y a près de 25 ans. Le monument historique s’est donc tourné vers la réalité augmentée pour utiliser la technologie au service du tourisme. L’occasion de savoir comment ce concept s’est mis en place.
L’Histopad, tablette conçue par l’agence Normandy Productions, a fait du chemin depuis la première reconstitution 3D créée par la start-up Histovery. Avec l’objectif d’observer les monuments en réalité augmentée, cette tablette a d’abord été utilisée par Histovery pour le château de Guillaume le Conquérant en 2013. Six ans après, la start-up a installé ce dispositif dans 12 monuments et s’est également intéressée au Palais des Papes d’Avignon.
Après un an et demi de recherche le monument, symbole de la Chrétienté, propose ainsi à ses visiteurs d’emprunter l’Histopad sans frais supplémentaires. Intrigués, les visiteurs découvrent depuis octobre 2017 à quoi pouvait ressembler le Palais des Papes au XIVème siècle, période où les papes occupaient encore les lieux. Le monument ne se visite plus seulement en parcourant les salles, souvent vides, ou grâce aux panneaux d’informations retraçant son histoire.
Maintenant, les visiteurs ont aussi la possibilité d’observer le décor du Palais comme il avait pu être souhaité par les papes il y a six siècles. Les curieux, repérables à leur tablette attachée au cou, n’ont qu’à scanner les bornes mises à cet effet pour découvrir comment étaient utilisées les neuf salles reconstituées en 3D. Ils y seraient presque, au Moyen-Âge, attablés auprès des plus importants chefs de l’Église Catholique.
C’est bien l’ambition d’Histovery : plonger le visiteur dans l’Histoire du monument. Avec le comité scientifique, les concepteurs ont en effet développé, pendant un an et dix réunions, une reconstitution en 360° au plus proche de la réalité de l’époque. Carine Meriaux, chargée du Pôle Communication à Avignon Tourisme, se réjouit que Dominique Vingtain dirige ce comité : “C’est l’une des rares médiévistes de cette époque à avoir travaillé sur la reconstitution de l’Abbaye de Cluny, qui a aussi été proposée par la start-up Histovery”.
Une visite au cœur de la réalité du XIVème siècle
Pour restituer le décor du monument, Carine Meriaux explique comment le comité a procédé : “À partir de ressources documentaires et de contes apostoliques, des discussions ont été menées entre les chercheurs et les concepteurs. Le but ? S’accorder sur les peintures, nappes et objets qui auraient pu être achetés par les papes. Pour décider des ornements, couleurs et motifs, le comité s’est également aidé de la mode de l’époque ».
La Salle des Festins suscite la surprise puisque le parti-pris du comité scientifique a été de représenter un plafond en teinture de ciel étoilé. Étonnant décor pour un palais anciennement habité par les dirigeants de la Chrétienté ! La directrice du pôle communication confirme cependant que certaines orientations ont parfois dû être prises lors la constitution du décor : “Lorsque les données n’ont pas été suffisantes, les chercheurs ont essayé de rassembler les éléments qui permettaient de comprendre quels tissus étaient achetés à l’époque et quel sens était donné aux couleurs afin de s’approcher de la réalité.” Le décor de la Salle des Festins, comme celui des autres salles reconstituées, est ainsi loin d’avoir été inventé : il est l’interprétation de toutes les preuves existantes des décorations achetées par la cour papale.
Après ce travail d’archivage, les développeurs d’Histovery ont constitué des maquettes. “C’est un peu comme des books de designers ou d’architectes d’intérieur. Ils prennent un certain nombre de données et créent, pièce par pièce, des maquettes avec ces éléments. De cette manière, le comité peut observer l’interprétation visuelle que les développeurs font de leurs recherches”, précise la directrice du pôle communication de Avignon Tourisme.
L’exactitude des éléments de la maquette validée, la mise en relief des décors en réalité augmentée a pu prendre place. Les développeurs de la start-up Histovery ont cependant fait le choix de ne proposer ce dispositif novateur que dans neufs pièces. “Parce que le Palais des Papes a été habité au XIVème siècle, nous n’avons pas assez de données scientifiques pour reconstituer toutes les pièces. Ce n’est pas comme la période faste de Versailles, donc nous avons voulu valoriser ce sur quoi nous avions des données précises”, affirme Carine Meriaux.
Ce système a également permis aux concepteurs de renforcer le côté pédagogique en créant une chasse aux trésors à destination des enfants. Dans certaines pièces, un dé illuminé apparaît. Il suffit de cliquer sur celui-ci pour entrer dans une pièce virtuelle avec une mission : trouver la pièce d’or. Neuf pièces d’or sont en effet cachées dans neuf objets différents. Le visiteur, friand de challenge, doit ainsi toutes les trouver afin de gagner une récompense. Un bon moyen pour transformer la visite en un jeu de piste divertissant, pour petits et grands !
Carine Meriaux nous donne un exemple de jeu : “Il y a une fontaine de table, que l’on va pouvoir manipuler pour découvrir ce qu’était cet objet à l’époque médiévale. Si le joueur trouve où la pièce d’or est cachée, il obtient une médaille afin de créer, à la fin, son propre trésor”. D’abord imaginée pour les enfants, la chasse au trésor est aussi utilisée par les adultes qui peuvent également en apprendre davantage sur l’utilité des objets qui servaient à la cour papale au XIVème siècle.
Un dispositif pédagogique qui doit faire ses preuves
Après avoir été repéré par la French Tech Culture, l’organisme qui vise à promouvoir les start-ups françaises innovantes, Histovery a contacté Cécile Helle. La chargée du Pôle Communication explique : “Cécile Helle, la maire d’Avignon a été directement séduite par l’idée. Les développeurs prenaient en charge la mise en place de tout le dispositif, de la conception technique à la mise à disposition des tablettes. Nous n’avons donc pas dû faire de gros investissements ; le projet ne comportait pas de risques pour nous. Au contraire, il nous donnait la possibilité de proposer une nouvelle manière de découvrir le Palais des Papes”.
En effet, difficile de résister à une proposition entièrement financée par la start-up Histovery. Néanmoins les concepteurs le savent, il faudra attendre de voir si le projet arrive à se rentabiliser. Pour répondre à cette question il sera nécessaire d’attendre une dizaine d’années, puisqu’il est encore tôt pour évaluer l’intérêt d’un dispositif qui n’a célébré que sa première année.
Carine Meriaux indique cependant que les deux parties font des points réguliers sur la progression de la rentabilité : “Grâce à nos plateformes de récoltes d’avis, nous avons remarqué que les visiteurs sont plutôt satisfaits. Avant le dispositif, ils nous faisaient remarquer que le monument n’était pas assez fourni. Maintenant, le système de Réalité Augmentée répond à ce problème puisqu’il montre le monument à un moment où il était encore décoré de tableaux, de nappes et d’objets ».
Une raison valable, pour Avignon, d’augmenter le prix du billet d’un euro. Ainsi, en plein tarif, la visite en coûte maintenant douze.
Malgré ce dispositif novateur, des améliorations techniques sont à prévoir dans les années à venir. A ce jour, les images en 3D sont sphériques et s’adaptent aux alentours mais ne s’adaptent pas encore lorsque l’on s’approche des murs. Néanmoins, le Palais des Papes reste l’un des principaux monuments qui utilise un dispositif aussi performant de Réalité Augmentée. Et ce n’est pas le seul. Le pont d’Avignon a aussi bénéficié de ce système qui permet de le voir au moment où il était encore dans son intégralité.