Le Web documentaire se développe et expérimente, pendant qu’un autre nouveau genre apparaît (encore plus récent que le Web documentaire par ailleurs) : le documentaire mobile. Comme toute chose nouvelle, le documentaire mobile a plusieurs dénominations: ‘documentaire in situ’, ‘documentaire géolocalisé’, etc. Dans les pays anglo saxons, il sera appelé ‘locative documentary‘ ou ‘Situated documentary‘.
Dans tous les cas, c’est le concept de l’espace qui est mis en valeur. L’espace de l’internaute, ou plus précisément, du mobinaute. Car là est l’intérêt de ces nouvelles formes de narration documentaire. Elles sont destinées à être vues et utilisées sur les smartphones, grâce à leur système de géolocalisation. Le contenu du documentaire s’adapte à l’environnement réel du mobinaute et lui propose (souvent grâce au système de la réalité augmentée) une vision documentée de son environnement.
Petite sélection française:
– Cinemacity:
Sorti en 2013 et développé par le studio transmédia SmallBang avec le partenariat d’Arte, cette application gratuite permet au mobinaute de découvrir Paris sous un angle cinématographique. Selon l’endroit où il est, l’application projette grâce à la géolocalisation et à la réalité augmentée un extrait de film spécifique, extrait de film tourné à l’endroit même où se trouve le mobinaute.
– Jaurès pas à pas:
Sorti en 2014, à l’occasion du centenaire de la mort de la figure de gauche, l’application permet au mobinaute de suivre Jaurès dans Paris et Toulouse. L’application développée par CinéTévé en partenariat avec le CNC, France Tv Nouvelles Ecritures, et le réseau Canopé entre au sein d’un dispositif pédagogique comprenant une exposition itinérante ainsi que deux documentaires.
– Voyages en résistances.
Le projet, qui a reçu le soutien du CNC, du CHRD et du Ministère de la Défense a vu le jour le 11 novembre 2012 et s’est terminé le 8 septembre 2014, soit une expérience de 2 ans et demi. Voyages en Résistances permettait à chaque Lyonnais de revivre la Résistance en incarnant un agent de liaison. Pour cela, le joueur créait sa carte d’identité de résistant, et devait remplir des missions, soit en solo, soit en groupe: par géolocalisation, ou par transfert d’informations via QR Codes.
Outre cette expérience, il recevait chaque jour des informations des journaux de l’époque, datés donc du même jour mais 70 ans auparavant. Afin de permettre aux non Lyonnais de participer au jeu, Google Map avait été mis à contribution, de façon à ce que même à travers l’espace virtuel de Lyon, il puisse valider des missions.
Les points forts:
Les documentaires mobiles vont proposer une autre immersivité, différente de celle proposée par les web documentaires.
Là où un web documentaire passe par une découverte du récit majoritairement visuelle et sonore, le documentaire mobile met l’utilisateur en situation (‘in situ‘), ce qui implique un comportement différent face au contenu proposé.
En effet, le documentaire mobile va s’appuyer sur l’utilisation d’une ‘réalité augmentée’ (ou à un recours à des QR codes disposés dans certains endroits d’une ville). En cela il est possible de penser que ces documentaires mobiles sont plus proches de ce qui est proposé dans un ARG (Alternate Reality Game), qu’à un web documentaire; à ceci près: il reste un documentaire et l’immersion du ‘spect-acteur’ dans son monde environnant se fait autour d’une certaine forme de réalité (historique par exemple).
L’immersion se fait plus personnelle, car mettant à profit l’environnement réel du mobinaute. Sandra Gaudenzi insiste d’ailleurs sur ce rapport au propos documentaire plus personnel: « Le documentaire ne s’adresse pas personnellement à quelqu’un, alors que les applications permettent d’avoir ce rapport plus personnalisé. Qu’est-ce que tel ou tel projet web change dans mon quotidien, dans mon environnement privé, dans ma façon de voir le monde ? Je pense qu’étendre l’information généraliste et la personnaliser à travers une plateforme individuelle, tel que le portable ou les tablettes, c’est très puissant.«
Deux secteurs en particulier peuvent comprendre l’intérêt de ces documentaires mobiles: il s’agit du secteur de l’Education Nationale et du tourisme. Pourquoi?
L’Education Nationale veut muer et entame une approche numérique. Dans ce contexte, ces documentaires mobiles ont totalement leur place. Ces documentaires mobiles impliquent l’élève, le mettent en situation avec l’information qu’on veut lui transmettre. Loin d’une approche traditionnelle et théorique, l’élève ne se contente pas de retenir par mémorisation des faits, mais expérimente et forge son esprit critique. Dans sa thèse ‘Using Augmented Reality Games to teach Histories’, Karen Schrier va amener l’idée que « Not only do students become better historians, but also they become better thinkers, analyzers, critics, and decision makers—necessary skills for citizens in a healthy, diverse democracy. »
Quant au secteur touristique, il a également tout intérêt à s’intéresser à ces documentaires mobiles qui valorisent d’une façon originale le patrimoine culturel ou historique d’une ville.
Les points faibles:
Dans l’optique d’une utilisation pédagogique, le principal souci soulevé par ces documentaires mobiles est d’ordre matériel. Si les nouveaux moyens de communication (tablette et smartphone) ont l’avantage de la mobilité de par leur petite taille, ils présentent également un inconvénient: « Mobility and mobile technologies, however, do not necessarily encourage collaboration.» (« La mobilité et les technologies mobiles, cependant, n’encouragent pas vraiment la collaboration. ») Difficile en effet d’être à 4 sur un seul mobile. Pour que l’expérience soit possible, il faut donc que la classe soit suffisamment pourvue en matériel; ce qui est malheureusement encore rarement le cas.
Autre limite; son espace justement. L’espace choisi pour l’expérience du propos documentaire est très souvent limité et se résume par le choix d’une seule ville (deux certes dans le cas de Jaurès Pas à Pas). Toute personne n’habitant pas dans la ville où a été conçue le documentaire mobile ne pourra pas (ou très peu) expérimenter le projet, d’où une certaine frustration.