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19 janvier 2015

L'Histoire revalorisée grâce aux nouvelles narrations

par Célia Ramain

Les nouveaux médias permettent de (re)créer et de valoriser des histoires. Mais pas seulement. L’ Histoire avec un grand H peut elle aussi être valorisée. Certains projets en effet présentent l’Histoire de façon bien plus intrigante que celle qui est faite par le très bouclé Stéphane Bern (et ses « émouvantes dorures ») ou par le très binoclard hipster Lorànt Deutsch.

Ces projets, sont souvent à l’initiative des musées. Et pour cause: ces projets peuvent capter l’intérêt des jeunes, ces êtres un tantinet récalcitrants à l’idée de passer leur journée dans un musée. En somme, l’idée est de capter l’intérêt d’un nouveau public. Pour cela, il faut abandonner le rôle qui lui est traditionnellement donné, le rôle purement contemplatif pour lui donner au contraire, un rôle à jouer. Ou du moins, l’immerger à travers un scénario interactif sans avoir peur parfois des anachronismes. De plus, ces initiatives permettent aux musées de mettre leurs contenus non plus juste en valeur sous une vitrine, mais carrément de les mettre en scène. Aude Mathey sur son site Culture et Communication insiste d’ailleurs sur le fait que: « Les musées, en tant que lieux de conservation et d’exposition, regorgent de contenus à ne plus savoir qu’en faire. » C’est dire les opportunités de création d’univers historiques immersifs.

Néanmoins, l’histoire racontée ne doit pas pour autant empiéter sur l’Histoire, car il en irait de la crédibilité des musées qui commandent ou s’associent à ces projets.

Petit récapitulatif de ce qui a été proposé jusqu’à présent en France:

– Voyages en résistances:

Le projet, qui a reçu le soutien du CNC, du CHRD et du Ministère de la Défense a vu le jour le 11 novembre 2012 et s’est terminé le 8 septembre 2014, soit une expérience de 2 ans et demi. Voyages en Résistances permettait à chaque Lyonnais de revivre la Résistance en incarnant un agent de liaison. Pour cela, le joueur créait sa carte d’identité de résistant, et devait remplir des missions, soit en solo, soit en groupe: par géolocalisation, ou par transfert d’informations via QR Codes. Outre cette expérience, il recevait chaque jour des informations des journaux de l’époque, datés donc du même jour mais 70 ans auparavant. Afin de permettre aux non Lyonnais de participer au jeu, Google Map avait été mis à contribution, de façon à ce que même à travers l’espace virtuel de Lyon, ils puissent valider des missions.

 

L’exemple est intéressant parce qu’il fait partie des premiers documentaires mobiles, c’est près de 28 000 missions qui ont étés réalisées et plus de 3 200 documents qui ont été mis en ligne. Une deuxième version plus immersive est en phase de construction.

– Les Bisons:

Ce projet est une initiative du musée du quai Branly. Le moins que l’on puisse dire c’est que le projet a bénéficié d’un lancement plutôt original. Imaginez des vidéos de bisons projetées en géant sur certains édifices de Paris! C’est ce qui s’est passé le 29 mars 2014. Avant cette projection pour le moins saugrenue dans Paris, il y avait eu, une semaine avant, un intrigant compte Twitter, celui de Wacochachi se présentant le 21 mars 2014 comme l’esprit des indiens de la plaine. Chacun de ses tweets comprenait le hashtag: #Lesbisons. Ces projections étaient le premier point d’entrée dans l’univers transmedia de cette exposition. Mais ce n’est finalement que le 7 avril que l’explication a été donnée; le musée organisait une collection autour des ‘Indiens des Plaines’ dont Wacochachi (figure non fictive) était la voix, la figure emblématique. Le dispositif transmédia a été imaginé par Michel Reilhac (ancien directeur général d’Arte France Cinéma, aujourd’hui auteur transmédia indépendant), Sébastien Magro, (chargé de projets nouveaux médias du Quai Branly), Bruno Mais (auteur et journaliste) et Romain Bonnin (designer transmedia). Il comprenait entre autres:

-Un TumblR où on suivait la progression Parisienne de deux minis bisons en plastique

-un ARG (Alternate Reality Game) sous la forme d’un jeu de piste. Des énigmes ont étés posées par Wacochachi sur Twitter (et également relayés par le compte Twitter du musée), impliquant le participant à se rendre à des endroits précis de Paris afin de récolter des indices. A la clé: 1 week-end pour deux dans une ferme de bisons, un pass de membre du musée pour deux d’un an, des catalogues d’exposition et des billets pour le premier spectacle dans le cadre de l’exposition Tatoueur, tatoué.

L’exemple est intéressant parce qu’il prouve que l’ARG n’est pas forcément uniquement lié au secteur audiovisuel (cinéma, TV, jeu vidéo).

Le Défi des Batisseurs:

A l’origine de ce projet, il y a non pas un musée mais des musées, ceux d’Alsace, ainsi que la région Alsace et le Ministère de la Culture. Si on décortique précisément le dispositif on se retrouve donc avec:

Le documentaire linéaire en 3D diffusé pour la première fois le 15 décembre 2012, qui retrace les destins des cinq maîtres d’oeuvre de la cathédrale de Strasbourg

Le Webdoc: Conçu par la société Bigger Than Fiction, où l’internaute incarne un jeune architecte devant, grâce à un outil de modélisation, proposer des suggestions de 2ème tour pour la cathédrale

L’application en réalité augmentée, également conçue par Bigger Than Fiction, qui permettait à travers des mini jeux, d’incarner un architecte mais cette fois in situ.

 

L’exemple est intéressant parce qu’il est assez rare d’observer un dispositif transmedia aussi développé autour d’un propos historique.

Léon Vivien:

Projet à l’initiative du Musée de la Grande Guerre de la ville de Meaux et réalisé par l’agence DDB. Léon Vivien, poilu fictif ayant combattu pendant la Grande Guerre livre ses pensées, son récit de guerre; jour par jour sur une page Facebook. L’opération s’est terminée à la date anniversaire de sa mort au front, le 22 mai 2013; ou plutôt 1915.. Car là est un des points intéressants de Facebook, les dates de publications peuvent être changées; ce qui dans le cas présent, facilite l’immersion puisque les dates de publication de Léon Vivien sont datées du début du siècle. Il y a donc création de deux temporalités: la réelle, celle de 2013 et la fictive, celle allant du 28 juin 1914 (date à laquelle a été assassiné l’archiduc de Sarajevo, élément déclencheur de la Guerre) au 22 mai 1915 (date à laquelle est mort Léon). En terme de chiffres, le profil de Léon a rassemblé plus de 65 000 fans. Des fans qui encourageaient le poilu, et qui ‘likaient’ chaque publication en moyenne 500 fois. Cependant le like de Facebook peut poser un problème d’éthique (léger quand on connaît suffisamment Facebook) mais bel et bien présent. Dans le cas présent, les photos numérisées de cadavres dans les tranchées ont été ‘likées’ plus de 600 fois. Alors non, les personnes likant ce genre de publication ne sont pas (du moins, toutes) des trolls sans âme mais on peut se poser la question: Facebook est il la plateforme idéale pour un récit de guerre? Et puis n’est ce pas là un léger problème scénaristique que de faire croire qu’un soldat puisse délivrer autant d’informations? Fin de la parenthèse sur le seul petit bémol de l’initiative. Notons que le projet a fait l’objet par la suite d’un développement crossmédia avec la parution d’un recueil rassemblant l’ensemble des publications sans cette fois les commentaires etc.


leon1914
Léon 1914. Léon Vivien. Le poilu aux 60 000 fans.

 

 

 

L’exemple est intéressant parce qu’il montre que les réseaux sociaux sont une façon, simple et relativement peu couteuse de fédérer une communauté assez grande, autour d’un thème ou d’une époque historique. D’ailleurs sur un modèle légèrement différent, celui de Twitter, on pourrait citer le compte de @Jehanlb (Jehan le Brave), le dauphin de France aux 13,5K abonnés (vassaux?) qui n’hésite pas à réagir sur l’actualité ou la culture populaire, en ancien et moyen français.

Plusieurs outils de narration peuvent donc être mis à disposition des musées, collectivités locales afin de mettre en valeur leur patrimoine historique:

-les réseaux sociaux (comme ce fut le cas pour Léon Vivien)

-les documentaires mobiles s’appuyant sur de la réalité augmentée (Voyages en Resistances, Le Défi des Batisseurs ou encore, très récemment Jaurès pas à pas)

-les serious game ( par exemple le récent ‘Sauvons le Louvre’)

-les ARG (comme ce fut donc le cas pour l’exposition ‘Indien des plaines’ du Musée du quai Branly)

Prochaine étape: la visite virtuelle des musées à l’aide d’Oculus Rift?

En somme, ce que l’on peut retenir de ces initiatives: oui, l’Histoire peut être valorisée par les nouveaux outils narratifs; et oui plus globalement, l’environnement des musées peut changer avec le numérique, d’ailleurs la communauté MuséoMix ne s’y est pas trompée. MuséoMix a pour objectif déclaré de « Ré-inventer le musée à l’heure des nouvelles technologies, de penser et créer un musée laboratoire, ouvert et connecté où le visiteur est acteur et où chacun peut trouver sa place ».

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