Longform, webdoc, newsgame… Autant de nouveaux formats web qui remettent en perspective la façon de traiter l’information et qui sont nés de l’envie de raconter des histoires différemment. Pour avoir une vue d’ensemble sur ces nouvelles façons de traiter l’information, étaient réunis ce mercredi 25 mars à l’Atelier des Médias de Lyon:
Bertrand Gaudillère, photographe, co auteur du webdoc “L’esprit de Gezi » qui a remporté au dernier Web Program Festival le prix du jury et du public dans la catégorie Web-actu/ mag/ Politique
Florent Tamet, co fondateur et directeur de publication d’Ijsberg, nouveau média ayant reçu en 2014 le Prix Google de l’innovation journalistique
Romain Jeanticou, co-fondateur et rédacteur en chef du Quatre Heures, média valorisant le long format, créé en mai 2013. Il est également co auteur du webdoc du ‘Mystère de Grimouville‘.
Anthony Côte, porteur du projet Le Sasurai, dernièrement récompensé à la MediaLabSession de Lyon
– Avec le 4 heures, chaque 1er mercredi du mois à 16h, est publié un reportage long format. L’idée est de valoriser le reportage, de proposer un temps de lecture pour prendre le temps de l’approfondissement. Romain Jeanticou (télétransporté à Lyon par la magie technologique Skype) rappelle que « Le long format a toujours existé, mais le numérique permet de l’enrichir » .
– Ijsberg, se caractérise par une réflexion sur le temps passé à lire de l’information et propose 3 temps de lecture: ‘Promptement’ (« En un coup d’oeil, vous avez accès à l’essentiel : une image, le texte, une zone pour réagir, et de quoi rebondir sur nos autres contenus »)/ ‘Calmement’ (« Des articles informatifs, agréables à lire, sans pollution visuelle du début à la fin. On commence par une image, pour poser le ton, avant de défiler le contenu »)/ ‘Lentement’ (« Le terrain de jeu est simple : votre écran. À l’intérieur, nous faisons ce que bon nous semble, pour servir au mieux le contenu des récits de nos correspondants »). Comme le 4 Heures, il s’agit d’un media jeune, avec une moyenne d’âge de 23ans où le journalisme a été lié à une idée d’entreprenariat.
Quel modèle économique?
Ijsberg se veut un média global, et pour cette raison, a opté pour un modèle gratuit, (et donc bénéficiant d’une vitrine plus large), mais financé en partie par la publicité, qui est cependant très loin d’être intrusive.
Ce choix de modèle économique diffère de celui qui a été fait par le 4 Heures. Romain Jeanticou, explique que ce choix d’abonnement et d’absence de pub s’est imposé rapidement lors de la création du 4 Heures, et cela pour plusieurs raisons: la première étant que le public visé par le 4 Heures est un public de niche. La seconde étant que la publicité, selon lui, casse l’immersion du lecteur et la troisième raison s’expliquant par une volonté d’indépendance.
Car comme le souligne Bertrand Gaudillère, « Il faut trouver un modèle économique en même temps qu’on développe ces nouvelles écritures« . Ni la direction du 4 Heures ni celle d’Ijsberg ne sont actuellement en mesure de se payer. Pour Romain Jeanticou, le 4 Heures devrait être à l’équilibre dans trois ans. Actuellement il rassemble plus de 500 abonnés et il en faudrait idéalement 3 000. Pour Ijsberg, un magazine papier, trimestriel et payant, est en phase de dépôt de brevet. Est également prévue une levée de fonds afin d’agrandir la rédaction et de mieux payer leurs pigistes.
Ces questions d’ordre économique ne doivent néanmoins pas faire penser qu’il n’y pas une vraie demande de la part du public. Il y a une demande et c’est ce qui explique le temps moyen de lecture important sur Ijsberg, de 25mn environ.
Ce fut ensuite au tour d’Anthony Cotes, de (re) présenter son projet ‘Le Sasurai’ qu’il avait proposé quelques jours auparavant à la MediaLabSession. L’objectif avec le Sasurai est de donner à vivre, et de proposer une immersion par le newsgame afin que l’internaute puisse devenir un acteur et non plus un spectateur. Pour plus d’infos sur ce projet, n’hésitez pas à aller lire le précédent article de PressLab.
La question de l’interactivité
Mais cet intérêt pour le ludique et d’une façon générale, l’interactivité n’est pas au goût de tout le monde. Bertrand Gaudillère la considère comme gadget et desservant l’information pure et dure. Pour lui, le modèle du webdoc c’est ‘Alma, une enfant de la violence’ où l’interactivité ne vient pas empiéter sur le récit (pour rappel, PressLab avait rencontré Isabelle Fougère, co-auteure de ce webdoc)
Alors effectivement l’interactivité n’est pas la solution miracle. Romain Jeanticou affirme qu’il faut faire « attention à ne pas faire des webdocs incompréhensibles en multipliant les outils, l’important reste l’histoire« . Même constat selon lui pour le long format: ‘un article papier ne sera pas plus intéressant parce qu’on y ajoute plein d’options en ligne. » Néanmoins, il serait malavisé de rester sur une vision classique de l’information, car l’interactivité, quelle que soit sa forme, fait désormais partie intégrante des usages et des attentes. (A ce propos je vous invite à lire l’intéressant papier ‘Les cinq paradoxes d’une presse qui se meurt’ de Nicolas Becquet qui déplore le fait que l’ « on écrit sur le papier comme on l’aurait fait sur support papier, mais avec plus de place »).
Mais si Alma a été citée comme référence, un autre webdoc a été salué pour son travail, et il s’agit du ‘Mystère de de Grimouville’, dont Romain Jeanticou est co-auteur avec son acolyte (et co rédacteur en chef du 4 Heures), Charles-Henry Groult. Le webdoc, récompensé en 2013 par le 1er prix ‘Webdoc Figra’, raconte « le petit village de Grimouville (144 habitants), au coeur de la campagne normande, qui est hanté par un mystère depuis près de quatre ans. Toutes les semaines, dans la nuit du vendredi au samedi, un anonyme colle une affiche blanche sur le mur du cimetière. Il y inscrit au pochoir un numéro, qui augmente chaque semaine. Quand commence l’enquête, nous en sommes au numéro 194. Performance artistique ? Acte politique ? Signe de deuil ? Chaque habitant y va de son interprétation mais le chiffre intrigue.. » Romain Jeanticou revient sur cette expérience et petit succès puisqu’il a réuni non seulement 50 000 vues en une journée, mais que le webdoc était vu dans son intégralité, ce qui était clairement l’objectif: il y avait une « Volonté de faire court pour que les gens aillent jusqu’au bout ». Pari tenu donc.
La soirée s’est terminée par le visionnage d’un extrait de ‘L’esprit de Gezi’. L’esprit de Gezi s’attache à la résistance pacifique et créative de la jeunesse Stambouliote contre le pouvoir. Bertrand Gaudillère est revenu sur ce projet, sa création et surtout sur le fait que ‘En tant que journaliste, on doit partir du constat qu’une diffusion Internet n’aura pas les mêmes enjeux pour les protagonistes qu’une version papier.’ Effectivement Internet, contrairement à un support papier, offre non seulement une certaine visibilité mais également une certaine pérennité. Dans certains pays policés et répressifs, cette possibilité d’évoquer son histoire, son combat peut être dangereuse, raison pour laquelle il est capital de ne pas trahir leurs paroles.