À LA SOURCE DE L'INFO | Épisode #3
23 avril 2020

Médias polonais : « Il y a plusieurs écoles »

par Morgane Poulet
Il s'agit de plusieurs journaux polonais. On peut notamment voir le logo de Gazeta Wyborcza.
La Gazeta Wyborcza est régulièrement dans le viseur du PiS / Photo : Shutterstock

Désormais classée 59ème par Reporters sans frontières (RSF) pour les libertés de la presse, la Pologne entretient une relation particulière avec le journalisme. Entre médias d’opposition et médias pro-gouvernement, relayer l’information peut s’avérer difficile dans ce pays dirigé par le PiS – le Parti Droit et Justice.

Le 1er août 2019, des militants nationalistes ont manifesté dans les rues de Varsovie pour célébrer le 75ème anniversaire du soulèvement de la ville. Alors qu’il prenait une photographie de l’évacuation d’un contre-manifestant pour le quotidien Gazeta Wyborcza, le photojournaliste indépendant Jędrzej Nowicki a violemment été agressé par un policier avant d’être évacué. Peu
après, deux journalistes qui travaillaient pour Oko.press, un média indépendant, ont également été exclus de la manifestation.

Un événement considéré par RSF comme une atteinte fondamentale aux libertés de la presse et qui a poussé l’association à condamner la Pologne, mais qui montre également la volonté du gouvernement de garder un certain contrôle sur les médias d’opposition du pays.

 

Des « médias nationaux »

 

Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2018, les médias publics polonais, appelés « médias nationaux » depuis 2016, sont passés sous contrôle du gouvernement. Ils sont dorénavant placés sous le Conseil des médias créé par le pouvoir en place et leurs dirigeants sont directement nommés par le Trésor, alors qu’ils étaient auparavant choisis par des concours organisés par le Conseil national de l’audiovisuel.

Depuis, diverses déclarations et projets de loi visant à avoir la mainmise sur les médias ont été mis en place. Sorti vainqueur des élections législatives cet automne et étant au pouvoir depuis 2015, le PiS a notamment fait part, dans son programme, de sa volonté d’adopter un texte sur le statut des journalistes.

L’objectif du texte de loi : créer un « gouvernement autonome qui se soucierait des normes éthiques et professionnelles » et qui serait également « responsable du processus de formation des étudiants en journalisme ». Ce dernier point inquiète tout particulièrement l’opposition au PiS, qui redoute que l’indépendance des médias en soit davantage restreinte.

Il s'agit du logo du groupe Ringier-Axel Springer.
Ringier-Axel Springer possède deux médias d’opposition : Newsweek Polska et Onet.

Aujourd’hui, une loi sur la déconcentration des médias est en cours de préparation par le gouvernement polonais. Elle vise tout particulièrement le groupe germano-suisse Ringier-Axel Springer, qui possède deux médias d’opposition : Newsweek Polska et Onet. Ce dernier média a notamment révélé des pourparlers indiscrets compromettant le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, ce qui a excité l’intolérance du pouvoir en place pour les médias privés.

Cependant, si les projets de « repolonisation » des médias ont beaucoup été évoqués pendant le premier mandat du PiS, ils ont progressivement été occultés puis tus jusqu’à l’été 2018. « L’idée est surtout de repoloniser TVN, le plus gros groupe de télévision privée, aujourd’hui possédé par les Américains de Discovery », explique Thomas Giraudeau, journaliste français correspondant à Varsovie. « La chaîne a un traitement de l’information clairement anti-PiS, ce qui déplaît évidemment au gouvernement », ajoute-t-il. Par « repolonisation », le gouvernement entendait limiter les capitaux étrangers dans les groupes de presse, en particulier dans la presse locale. Une décision qui inquiétait Reporter sans frontières, car elle avait clairement vocation à s’attaquer au pluralisme de la presse.

Le Premier ministre, Mateusz Morawiecki, a déclaré que « 80% des médias polonais » étaient « aux mains des opposants du PiS, qui n’ont de cesse d’attaquer le gouvernement », comme Gazeta Wyborcza ou Newsweek Polska. Il semble alors difficile d’être journaliste dans ce pays qui accuse régulièrement les grands groupes de presse étrangers d’être ligués contre la Pologne, et surtout, contre le pouvoir lui-même.

En 2017, le gouvernement conservateur et nationaliste a accusé le germano-suisse Ringier-Axel Springer d’« ingérence » dans les affaires internes de l’Etat et dans l’indépendance des médias polonais. Le ministère des Affaires étrangères, mais aussi le PiS, ont protesté contre des affirmations de Ringier-Axel Springer. Mark Dekan, le président du groupe de presse concerné, commentait la réélection de Donald Tusk à la tête du Conseil européen mais aussi le soutien très important des Polonais à l’Union européenne. Selon lui, « l’idéologie et les manipulations primitives ont perdu contre les valeurs et la raison » dans le pays. Beata Mazurek, porte-parole du PiS, accuse: « l’Etat allemand essaye de s’ingérer dans les affaires internes de la Pologne ».

Pourtant, selon des journalistes sur place, il n’est pas plus compliqué d’être reporter en Pologne qu’en France. La difficulté réside plutôt dans le fait d’obtenir des interviews de la part de membres du PiS, car les sujets abordés par des médias qui les demandent sont souvent considérés comme étant trop controversés.

 

Les difficultés d’être un média d’opposition

 

Être un média d’opposition peut s’avérer être un obstacle de taille en Pologne. Selon Reporter sans frontières, le PiS exige que les vendeurs de journaux mettent en valeur les titres qui lui sont favorables. Ces derniers doivent être disposés « de manière esthétique et visible » sur les étalages.

En janvier 2017, la société d’Etat qui gère le réseau de 480 stations-services en Pologne a exigé de ses franchisés qu’ils modifient la façon qu’ils avaient d’exposer les journaux. Tous les titres favorables au gouvernement, comme Rzeczpospolita, devaient être mis en avant, contrairement aux autres. En 2018, 1700 points de vente ont dû exécuter cette volonté.

Comme l’explique Fany Boucaud, journaliste française correspondante à Varsovie, « il y a plusieurs écoles » en ce qui concerne les médias. « La TVP, [télévision] publique, est aux mains du pouvoir, plus de 300 journalistes ont été virés (…). Beaucoup [le sont] chaque jour dès qu’un sujet ne plaît pas ou n’est pas [pro]-gouvernement. »

 

Plus de confiance dans les médias privés

 

La confiance accordée aux médias, et plus particulièrement aux programmes d’information des télévisions polonaises, apparaît être peu élevée lorsque les chaînes sont publiques.

D’après une étude polonaise réalisée par le Conseil national de la radiophonie et de la télévision, 41% des téléspectateurs polonais font confiance aux médias privés contre 38% aux médias publics. En janvier 2019, une enquête de l’institut IBRIS a également montré que 50% des personnes interrogées n’estimaient pas fiable « Wiadomosci », le journal d’information du
soir sur la télévision publique. En ce qui concerne la chaîne d’information en continu, TVP Info, elle a une opinion positive de 30% et négative de 40%. Quant à TVN, qui appartient à l’Américain Discovery, les Polonais interrogés s’accordent à la trouver plus fiable. L’émission « Fakt », de TVN, notamment, est estimée crédible par 56% des personnes interrogées et est jugée négativement par 22,5% des interrogés.

Être un média d’opposition en Pologne, ou simplement n’être pas pro-gouvernement, s’avère alors compliqué dans le traitement de l’information. Le manque de pluralisme laissé aux médias et la mainmise que souhaite avoir le PiS sur ces derniers les freinent dans leur devoir d’information.

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