10 octobre 2016

« Mistral-Urbain » : le son comme arme contre les préjugés à Marseille

par Camille Ledun

A chaque ville son caractère et sa complexité. A chaque ville également son lot d’idées reçues. Marseille ne déroge pas à la règle. Dans la lignée de ses précédentes œuvres, Arte Radio, accompagné par le pôle web, est allé directement sur place pour les étudier en profondeur. Pas de commentaires, pas d’analyses. Le son est l’arme pour faire passer le message.
En 2013, Marseille était la capitale européenne de la culture. A cette occasion, la ville lance son musée (MuCEM : musée des cultures européennes et méditerranéennes). Arte profite de cet engouement culturel autour de la ville pour penser un projet qui mettrait à mal les clichés qui persistent sur Marseille. L’initiative démarre du pôle Radio et de son responsable éditorial Silvain Gire. Journalistes et techniciens décident de reprendre les bases de ce qui avaient déjà été posés sur le projet Louvre-Lens tout en y ajoutant de l’innovation. Le son sert de base dans le multimédia avec en complément des dessins, le tout déposé sur une des plate formes d’Arte. Un concept simple pour une ligne éditoriale claire et direct.

 

2013 : Marseille, point d’orgue de la culture

 

Mistral Urbain, c’est une fresque divisée en séquences dans les différentes zones géographiques et thématiques de la ville. A chaque séquence son extrait sonore, à chaque son son aspect de la culture marseillaise et méditerranéenne. Une fois le bouton de départ enclenché, la fresque se déroule sur plus d’une heure. Aucun aspect n’est mis de côté. Thomas Azuelos, célèbre dessinateur accompagne les sons purs de dessins abstraits et colorés. Pas d’images, aucun commentaire ou analyse des réalisateurs. Le visiteur regarde, analyse et se construit sa propre opinion. Une méthode simple et efficace de mettre à mal les idées reçues sur une culture trop peu connue des autres régions de France. La fresque vient également appuyer la place prépondérante de la culture à Marseille en 2013.

Comme le reste, la structure du projet multimédia est des plus simplifiées et donc percutante. Une page d’accueil, quelques lignes de présentation sur l’origine, le concept et le fonctionnement, un bouton d’entrée et l’œuvre apparaît. La règle des trois clics pour accéder au contenu est largement respectée, le public entre presque directement dans le vif du sujet.
Des mois de travail intenses

C’est Arte Radio qui a pensé ce sujet sous la forme que l’on connaît aujourd’hui. L’idée est ensuite arrivée à la direction du web. La réalisation des sons a été confiée à deux jeunes femmes, diplômées d’écoles de cinéma et d’audiovisuel : Jeanne Robet et Caroline Fontana. Accompagnées de techniciens et des responsables éditoriaux du web et de la radio, elles se sont penchées sur ce qui étaient réalisables ou non, et surtout sur ce qui représentent le mieux la diversité et la richesse de Marseille.

Les responsables souhaitaient accompagner la narration non pas d’images qui porteraient un message caché beaucoup trop fort de par le choix d’angles, de lieu mais plutôt par des dessins. « Les dessins apportent quelque chose de différent. Ils laissent place à l’imaginaire et à l’interprétation de chacun sans influencer » confiait Silvain Gire. Pour ces dessins, la demande a été faite à Thomas Azuelos, un habitué des dessins de bandes dessinées et de dessins abstraits. La personnalité et le profil étaient parfaitement adaptés aux demandes de la direction et des réalisateurs.

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La fresque sonore

Les trois principaux auteurs (sons et dessins) sont tous concernés de près ou de loin par Marseille et connaissent donc très bien la ville. Un critère important déposé par Arte. Car lorsque vous souhaitez détruire les préjugés qui peuvent exister sur quelque chose, il est indispensable de maîtriser le sujet et de renvoyer vers les bonnes informations. Ce fait a aussi permis à l’écriture de se faire plus rapidement, Jeanne Robet et Caroline Fontana savaient assez vite ou retrouver les éléments qui « faisaient » Marseille. Les deux jeunes femmes sont allées au contact de personnes lambda, ceux qui font vivre la ville au quotidien et qui permettent aux autres de pouvoir s’identifier à ce qu’ils entendent.
Le projet, d’un bout à l’autre de sa réalisation, n’a pas demandé des moyens techniques très conséquents. La plus grosse nécessité était surtout une fois les sons et les dessins passés au mixage. Lors de cette étape, Mistral Urbain a pu profiter des moyens importants d’Arte à Paris. La fresque traverse le vieux port, le bord de mer, le centre ville … tout en conservant une certaine linéarité dans la trame narrative.

 

Petite équipe, petits délais

 

Le deuxième gros défi de ce projet se trouve dans la toute petite équipe mise à disposition pour ce projet à côté des délais très serrés qui ont été les leurs. Entre les trois auteurs, les techniciens et les deux responsables éditoriaux, ce sont environ dix personnes qui ont participé au projet. Vu le budget très serré (20 000€) qui a été mis à disposition, envisager une équipe plus grande paraissait compliqué.

C’est Arte Radio, l’endroit où a germé l’idée du projet qui est le producteur principal du projet, surtout étant donné que le son représente le point capital. Par contre, le gestionnaire est Arte Web qui est aussi le financeur principal. L’ensemble production / post-production a été géré en exclusivité par Radio/Web.

 

Une communication pas à la hauteur du reste

 

Le « produit fini », livré il y a maintenant plus de deux ans semble être une réussite intemporelle. « Marseille, c’est une ville très facile. Il y a d’après moi à travers cette fresque une grande réussite pour faire comprendre sa complexité. Le projet en lui-même ressemble beaucoup à ce que nous attendions et il remplit l’ensemble des objectifs » confirme Silvain Gire. La fresque, aussi simple soit elle, valide tous les critères imposés au départ.

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Silvain Gire, Arte Radio

Alors qu’elle était en ligne sur le site, cette fresque sonore n’a trouvé presque aucun écho dans les médias. Une déception pour l’ensemble des personnes qui ont travaillé au quotidien mais aussi au vue de la qualité du projet multimédia. Le public visé n’était pas uniquement français mais pourquoi pas européen vu qu’il a été réalisé dans le cadre de l’élection de la capitale européenne de la culture mais personne n’a véritablement été informé de l’existence de ce projet.

Les partenaires institutionnels comme le MuCEM, qui s’était pourtant investi au moment de la production n’a pas donné d’échos particuliers. « Les partenaires institutionnels et médiatiques n’ont pas été assez présents au moment de la communication. C’est le gros point noir de ces mois de travail intenses. Le projet a été relayé sur les sites internet de quelques pôles d’Arte France mais sans conviction ni entêtement. D’ailleurs aucun autre média n’a évoqué notre travail » regrettait Silvain Gire. Et lorsque l’on connaît le nombre de documentaires qui naissent régulièrement avec des budgets nettement plus importants que celui-ci …

 

Un bilan général mitigé

 

Au niveau de la production et de la réalisation finale, le résultat fonctionne parfaitement bien. Néanmoins, vu le peu de visites sur le site, peu de personnes ont donc été touchés et il est difficile de dire que beaucoup de choses ont bougé. La méthode employée pour transmettre l’information était pourtant bien pensée mais un manque d’investissement dans la post-production pèse sur la qualité du bilan global.

D’après un tableau de notation bien précis, le projet multimédia récolterait une petite moyenne de 10,5/20 (4/5 pour l’expérience utilisateur, 3/5 pour la qualité des contenus, 1/5 pour l’impact et 2,5/5 pour des critères plus subjectifs tels que l’intérêt personnel, la curiosité, le temps passé…).
En définitif, « Mistral-Urbain » c’est une fresque sonore formidablement bien pensée avec des objectifs pertinents, une structure efficace et une ligne éditoriale intéressante. Mais l’essentiel est gâché par des chiffres d’audience bien en dessous des espérances de départ et une communication décevante pour un média avec un réseau aussi important que celui d’Arte. Le potentiel n’a semble t- il pas été exploité pleinement.

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