De plus en plus d’internautes évitent désormais la publicité en ligne. Face à cela, les professionnels de la communication commerciale s’organisent pour montrer une publicité éthique. Une entreprise française cherche à pousser cette réflexion plus loin en “redonnant du sens à la pub”.
Peut-on aimer la pub ? Cette question peut sembler idéaliste. Pourtant, depuis 2014, des internautes font le choix de regarder régulièrement des vidéos publicitaires en se rendant sur la plateforme Goodeed.
Ils sont désormais près de 300 000 à jouer le jeu. Le secret ? Goodeed leur permet de faire des dons gratuits pour des projets solidaires. À sa création, l’entreprise française souhaitait “démocratiser le don sur Internet” et s’est associée à des associations portant des projets de protection de l’environnement, d’éducation etc.
Lydie Herduin, responsable des partenariats et relations extérieures à Goodeed, explique : “Beaucoup de personnes, notamment les millenials, souhaitent s’engager. Ils sont de plus en plus conscients de ce qui se passe autour d’eux mais ne savent pas forcément comment s’y prendre et, surtout, n’ont pas nécessairement le temps ou l’argent.”
Deuxième constat : “ces personnes utilisent énormément de services gratuitement grâce à la publicité sans que cela soit un frein pour eux, voire même parfois sans s’en rendre compte.” La publicité ne serait donc pas nécessairement un obstacle pour les internautes, tant qu’elle n’intervient pas en parasite commercial encombrant mais qu’elle permet d’accéder à un service.
“Au départ de Goodeed, nous voulions démocratiser le don sur Internet. Maintenant, nous dirions que nous avons également pour mission de redonner du sens à la pub”
Selon l’étude « Comment et sur quels écrans sont regardées les vidéos », réalisée par Médiamétrie, l’IAB France montre en effet que 53 % des internautes renoncent à visionner une vidéo du fait de la présence d’une publicité. Pour 80 % de ces internautes, ce renoncement est dû à la longueur des vidéos publicitaires. Également, dans 79 % des cas, cela est lié au fait qu’elles ne sont pas cohérentes avec le contenu visionné. Dans la formule qu’elle propose, l’entreprise Goodeed comble ces deux écueils en imposant un format précis des publicités. Un bouton permet aux internautes de “passer” la vidéo au bout de 10 secondes.
Sur le contenu, Goodeed demande des vidéos qui “fassent sens” en s’inspirant des engagements des entreprises. “Trois démarches : soit l’entreprise est déjà engagée auprès de l’une de nos associations partenaires, soit l’engagement de la marque RSE correspond au type de projet, soit le contenu de la publicité a un lien avec le projet, détaille Lydie Herduin, qui poursuit : Au départ de Goodeed, nous voulions démocratiser le don sur Internet. Maintenant, nous dirions que nous avons également pour mission de redonner du sens à la pub” assène Lydie Herduin.
Comme pour toute régie publicitaire classique, il reste ensuite à déterminer un coût par vue avec les annonceurs. Cela représente le nombre de vues à atteindre pour financer à 100 % le projet. En termes de business model, Lydie Herduin précise que 60 % du budget est versé à l’association, 30 % à Goodeed et 10 % à de la communication autour du projet soutenu.
De la pub-produit à la publicité engagée
Pour cela, il a fallu convaincre des entreprises habituées à un modèle uniquement commercial : “Au début de Goodeed, les entreprises se plaçaient en annonceurs avec des pub-produits comme celles qu’elle diffusaient partout ailleurs. Puis, plus on avance, plus elle nous voient en conseillers en RSE et nous écoutent même dans la production de leurs vidéos, quand nous leur conseillons de faire de la publicité engagée plutôt que de la pub-produit.
Je vous donne un exemple : nous avions travaillé avec Renault, qui avait plein de pubs sur des nouveaux modèles de voiture. Or, Renault est également partenaire de Handicap International, association avec laquelle nous travaillons également. Plutôt qu’un pub-produit sur leurs voitures, Renault a donc réalisé une publicité institutionnelle. Cette vidéo mettait en avant ce partenariat avec Handicap International.” Et c’est le jackpot pour l’entreprise, qui promeut ses produits tout en conquérant la “communauté exigente et engagée” de la plateforme. Lydie Herduin est convaincue qu’il faut tendre vers une“publicité positive à impact direct et solidaire”. Pourquoi ? Elle “peut servir tout le monde”.
Économie de l’attention, pire ennemie de la pub ?
Allouer une partie du budget (colossal) de la publicité à de bonnes actions suffit-il pour redorer l’image de ce marché et faire de la publicité éthique ? Pas pour tout le monde. Frédéric Bordage, qui pilote le collectif Numérique Responsable et est co-fondateur de greenIT, n’y croit pas.
Pour lui, la pub reste de la pub, un objet d’attention inutile. “Créer de la charge mentale avec de la publicité inutile et se donner bonne conscience parce qu’une partie de la publicité sera reversée à une cause porte un problème de fond, de conception”. Il poursuit : “le numérique, c’est fait pour réaliser une action et non pas regarder une publicité passivement.” Frédéric Bordage dénonce des procédés de marketing liés à l’économie de l’attention. Une théorie qui fait grincer des dents les publicitaires depuis de nombreuses décennies…
(Pour en savoir plus, voir l’article « Publicité éthique et économie de l’attention »)