27 juin 2016

Punk Me, je suis connu

par Lise Chargé

« God save the Queen » vous évoque davantage les Sex Pistols que la reine mère ? Vous vous sentez l’âme rebelle ? Punks vous êtes ! Mais au fait… on est en 2015 et le style crête rose et verte, c’est fini. Alors c’est quoi, être punk aujourd’hui ? Le web documentaire imaginé par Jacques Denis, produit par Narrative et diffusé par Radio France nous en dit plus.

Par Lise Chargé

Teaser du webdoc

Il y a un peu plus de quarante ans maintenant, on reconnaissait les punks dans la rue à leurs crêtes iroquoises et aux clous dans leurs joues. Alors aujourd’hui, si les cheveux verts et les piercings improbables ne sont plus forcément au goût du jour, la culture punk est-elle morte pour autant ? Cette question, c’est exactement celle que s’est posée Jacques Denis. Passionné de musique et grand reporter depuis plus de vingt ans pour notamment Libération ou Le Monde Diplomatique, Jacques Denis a déjà réalisé plusieurs documentaires pour la télévision. Cette fois-ci, c’est la forme du web documentaire qu’il a choisi pour apporter une réponse à sa question. Et s’il peut sembler totalement anachronique et sorti de nulle part, son questionnement n’est pas tant hors du temps. Il faut savoir que le punk est un mouvement jeune et rebelle qui est né dans les années 1970 suite à la crise économique et à la montée du chômage. Quarante ans plus tard, le contexte ne semble pas si différent que ça.

Alors si les crêtes ont bien disparu, l’esprit punk est peut-être toujours là, sous d’autres formes. Lesquelles ? Il est intéressant de comprendre la définition du punk que Jacques Denis a donné au Mouv.fr : « le punk pour moi, c’est essentiellement une manière de regarder le monde ». Et bien Punk Me, c’est ça. C’est regarder le monde d’aujourd’hui, que ce soit du côté de la musique, la culture, la politique, bref tout, mais toujours à travers le prisme du punk.

What the punk ?

Outre la genèse du projet, Punk Me, c’est quoi ? Très concrètement, c’est une expérience interactive d’environ une heure entre les auteurs et les internautes, dont l’interaction pourrait être qualifiée de fermée étant donné qu’il est impossible en tant qu’utilisateur d’intervenir sur le contenu. Sur Punk-Me.lemouv.fr, site en ligne depuis juin 2014, on nous conseille de brancher nos écouteurs et c’est parti pour un circuit dans Paris façon « walk movie ». Au cours de cette déambulation, on fait des escales chez des auteurs, des musiciens, des dessinateurs de bd qui ont tous un point commun, ils nous parlent de la culture qui se disait « no future », de l’esprit punk. La clé à la fin de cette balade nocturne dans Paris, c’est de découvrir « le punk qui est en nous ». Mais avant de découvrir son profil punk, pas question de se tourner les pouces.

Et pas question de faire n’importe quoi parce qu’on est rebelles. Bien au contraire, le web documentaire est très structuré, ce qui rend la navigation très claire et agréable. Il est composé de dix chapitres matérialisant des étapes dans une narration qui est linéaire et symbolisée par une ligne toujours visible en bas de l’écran. A chaque arrêt sur ce circuit, le web documentaire attend de nous une réponse. Des chapitres aux noms cocasses et pertinents de par leur interdépendance. L’itinéraire dans Paris est fait de dix escales. Et parce que l’enchaînement des chapitres est brillant, on va faire un petit tour d’horizon bien détaillé.

On commence notre périple nocturne par « Punk Image limited » pour découvrir qui est son maître à penser, puis « faut voir » pour analyser la musique en vidéo à travers un choix de quatre décennies de clips. Plus loin, on se balade du côté de « no more heroes » pour sélectionner qui, des neufs personnages de série proposés nous évoque la punkitude absolue. Inutile de vous préciser que pour moi, au risque de me faire des ennemis, Cook de la série 100% British Skins vaut cent fois un petit Tyrion Lannister (sans mauvais jeu de mot) ! Ensuite, on s’arrête forcément par « poétique politique », un concept plutôt ludique : à nous de décider qui est le plus punk entre Sarkozy, De Gaulle ou Eva Joly… plutôt jouissif non ? On passe vite pour le chapitre cinq sur le style qui était nécessaire mais où on n’en apprend pas plus que ce que l’on sait déjà en fin de compte. Mais pas de panique ! On fait le plein de culture avec le chapitre d’après sur les groupes marginaux avec qui on pourrait potentiellement refaire le monde d’aujourd’hui. Parmi eux, les altermondialistes ou Anonymous notamment. Le chapitre sept s’adresse aux plus geeks d’entre nous et nous en apprend de belles sur les hackers, sorte de punks numériques du XXIe siècle. Puis « Dessine moi un bouffon » nous embarque sur les terres du graphisme engagé avant de s’intéresser aux écrivains décalés et de finir sur… la musique pardi ! C’est le producteur musical de France Inter Djubaka qui nous entraîne en terres punk en nous jouant directement les morceaux, à l’ancienne, sur son tourne disque. L’intérêt ? Estampiller les titres d’une mention « punk » ou « pas punk », et boucler la dernière étape de l’aventure afin de découvrir, enfin, quel est notre profil punk. Verdict pour moi, je serais « punk de saison », autrement connu sous le nom de « punk à la petite semaine ». Si offensée je suis ? Non, le constat me paraît juste, je suis une punk à mi-temps.

Derrière la crête

Reflexes journalistiques obligent, quand on a compris le quoi, on veut savoir le comment, voire même le qui. En l’occurrence, si Jacques Denis a entièrement pensé et écrit le scénario du web documentaire, les questions, la voix-off, mais aussi choisi les archives et posé la problématique il n’était tout de même pas seul. Derrière ce projet, Zoé Cauwet et Floriane Davin étaient à la réalisation. Leur mission première, filmer une déambulation dans Paris et huit portraits. Le tournage a duré trois semaines tout compris (narration, déambulation et bonus) sur un rythme ponctuel, rigoureux et identique chaque jour. A mettre en avant, une équipe très réduite pour la prise d’image : la réalisatrice et son assistante, et un ingénieur du son de Radio France. Des moyens limités peut-être, mais surtout une volonté de la part de la réalisatrice Zoé Cauwet. Comme le précise Floriane Davin, elles ont souhaité travailler avec une caméra très légère pour filmer la partie « walk movie », c’est à dire un figurant déambulant de dos, pour, je cite, « ne pas avoir besoin de gros bras ». Ainsi les jours detournages, les deux réalisatrices se chargeaient de la prise de vue en compagnie d’un preneur de son. Nous verrons qu’il était inévitable que le son prenne une place majeure au sein du projet, il fallait donc que la prise de son soit irréprochable. Les petites mises en scène dans la rue étaient programmées à l’avance, ainsi que les rendez-vous avec les différents intervenants. Dans le cas d’interviews lors d’une journée de tournage, l’auteur Jacques Denis remettait sa casquette de journaliste et se chargeait exclusivement de poser les questions à ses invités qu’il avait lui-même choisis.

Le montage a été entièrement réalisé par les deux réalisatrices qui ont monté les images sur Final Cut pro 7. Tout comme la période de tournage, le montage s’est étalé sur trois semaines car il faut prendre en compte tout le temps de visionnage et de validation par l’auteur et la production. Trois jours supplémentaires ont également été nécessaires à la finalisation du produit pour effectuer l’étalonnage par Stances et le mixage son par Radio France, le diffuseur .

Le plus difficile, nous confie l’assistante réalisatrice, a été de « faire le point entre l’intention de l’auteur (Jacques Denis), les envies de la réalisatrice et les attentes du diffuseur (Radio France), mais aussi l’identité visuelle instauré par Ultra Noir (le studio de développement et graphisme) ». Un vrai défi de coordination pour réaliser un projet qu’elle dit avoir été pensé « trop dense ». Un des challenges a donc été de supprimer ce qui était en trop et de ne garder que le meilleur avant de se lancer sur le tournage et de ne plus pouvoir faire demi-tour. Sans oublier le côté juridique du travail des réalisateurs, Floriane Davin avait la tâche importante de s’assurer de bien avoir tous les droits d’auteur auprès directement des maisons de disque, module par module (10 modules au total sur Punk Me), tout en vérifiant qu’aucune plateforme en ligne comme Youtube ou Dailymotion ne bloquerait les titres contenus dans le projet.

Une bande son timide

Puisqu’on ne peut pas dire Punk sans parler musique, il est intéressant de comprendre comment elle a été placée au centre du web documentaire. On nous met dans l’ambiance dès le départ puisque l’introduction nous conseille de mettre un casque avant de commencer afin de profiter des effets stéréo. La musique est intelligemment mise en valeur tout le long de la déambulation, et encore plus à la fin grâce à une bonne idée. C’est un producteur, qui, en images, nous passe des vinyles, presque entre copains. En ce qui concerne les choix de musiques composant la bande son, c’est Jacques Denis qui a choisi de faire une sélection exclusivement dans la bibliothèque du label Born Bad, laissant ensuite libre choix à la réalisatrice Zoé Cauwet de choisir tel morceau à tel moment en fonction du rythme qu’elle souhaitait donner à son montage. Certains comme moi trouveront le choix de B.O assez décevant.

Quand on s’attend à retrouver les Sex Pistols et que l’on se retrouve avec Cheveu ou Dan Deacon qui sont des groupes punks, actuels certes, mais très peu connus, on peut vite déchanter. D’autres y verront, comme l’a voulu dans un deuxième temps l’auteur, une façon de ne pas tomber dans les stéréotypes Punk… Car si l’on creuse un peu, on se rend compte que ce n’était pas la volonté première de Jacques Denis qui a confié lors d’une interview à davduf.net s’être rendu compte très vite qu’il n’aurait « pas les moyens d’acheter les droits pour une B.O composée de grands classiques Punk ».

Parce qu’il en faut beaucoup

Des sous. On se doute bien que tout cela a un coût. Le budget total pour le web documentaire a été de 140 000€ dont 50 000€ financés par Radio France, diffuseur du projet. Si l’on rentre dans les détails, on peut noter que toutes les archives sonores qui font la richesse de ce web documentaire ont été apportées en coproduction par l’INA. Pour ce qui concerne le reste du budget total, les financements ont été apportés par la boîte de production Narrative et ses deux productrices Laurence Bagot et Cécile Cros qui ont également débloqué des fonds grâce à leur compte CNC. Impossible cependant sur le site du CNC de trouver à quelle hauteur le comité a financé le projet. En effet, aucun résultat de commission ne fait mention de Punk Me.

En ce qui concerne la cible du web documentaire, on peut la deviner par son diffuseur. En effet, Mouv’ est un réseau de Radio France créé en 1997 centré sur les sons urbains, le hip hop ou les musiques électroniques. Vous allez me dire « quel rapport avec le punk ? », et bien justement, le public ciblé : les jeunes ! Cela reconfirme que Punk Me n’a rien d’un bloc d’archives pour les papys nostalgiques. Le but est bien de s’adresser aux jeunes, qui, à travers le parcours qu’on leur propose, se font une certaine vision du monde, et découvrent si l’esprit Punk vit encore.

Depuis sa sortie, la communication autour de Punk Me s’est fait très timide. Peu de traces du web doc sur internet, hormis en interne sur les sites de Radio France, et on retiendra le bon coup de pub de François Morel déguisé en Punk pour sa chronique sur les ondes de France Inter. Sans oublier l’interview de Jacques Denis très complet réalisé par Davduf à l’occasion de la sortie de Punk Me. Radio France oblige, le web documentaire a tout de même été largement diffusé et a su rencontrer son public. Plusieurs distinctions lui ont été attribuées dont la mention spéciale du jury dans la catégorie « Best Digital Storytellin » du prix Italia ainsi que l’attribution de la qualité de « site of the day » par Favourite Website Awards qui sélectionne chaque jour le meilleur du webdesign.

En somme

Avant ce n’était pas mieux. On ne tombe pas dans le côté fausse nostalgie, et c’est vraiment une force du documentaire. On s’interroge seulement sur le présent en fouillant dans le passé. On notera l’efficacité du propos qui passe surtout par la qualité et la rareté des archives sonores. Mais pas que. Il y a eu un gros travail sur le graphisme réalisé par Terreur Graphique. Les dessins se veulent simples, colorés, avec une identité visuelle qui donne une dimension unique au projet. C’est l’agence parisienne Ultranoir qui s’est ensuite chargée de l’intégration des dessins et de tous les contenus, de la partie fonctionnelle mais également de tout le développement. L’équipe d’Ultranoir n’a pas manqué d’idées concernant l’ergonomie non plus. Le co-fondateur de l’agence Jean-Baptiste Grasset précise que le travail sur Punk Me a nécessité trois mois de développement avec une équipe de quatre personnes : le chef de projet, le directeur artistique et deux intégrateurs HTML5. La consigne majeure était de « créer une interface classe avec des dessins plus trash et donc de créer un contraste fort, sans tomber dans les clichés du punk ». De ce côté, l’équilibre a vraiment bien été dosé puisque le site est très agréable à l’œil. En revanche, il n’est pas responsive, et sur smartphone, le message suivant s’affiche : « ta résolution est bien trop petite pour afficher le site… essaie sur une plus grosse bécane ! ». C’est dommage ! Le site ne s’affiche pas sur une résolution inférieure à 1024px, et quand on pose la question au développeur, la réponse est simple, faire une version responsive impliquerait quasiment de doubler le budget de développement. De plus, est-ce judicieux de vouloir vivre l’expérience d’une heure trente sur mobile ? Pas sûr… Cependant, rien à dire concernant la réactivité du site même si l’impossibilité de faire pause à tout moment peut devenir très problématique. Une fois lancé, on est piégés ! On peut considérer ça comme une erreur d’ergonomie qui nous fait penser qu’on est plutôt en train de regarder un film et pas un web doc…

On enlèvera des points sur la pertinence du dispositif au regard du propos, soit le côté un peu sage d’un projet qui se veut totalement punk. Les contenus audio et vidéo sont vraiment de qualité mais la narration trop linéaire vient assombrir le tableau. On suit le fil de la narration qui n’est pas forcément funky dans l’écriture ni dans le ton et on ne se retrouve jamais dans des situations impromptues, décalées. Bref, on attend d’être surpris et on ne l’est pas. On se demande aussi pourquoi on reste à Paris, un petit détour par Londes ne nous aurait pas déplu. Par contre, la bonne surprise, c’est l’existence d’une page bonus cachée avec plus d’archives, des contenus inédits plus qu’intéressants et des playlists concoctées par RF8, coproducteur du projet. Une telle plus value a pourtant son petit défaut. Pour une page bonus cachée elle est très bien cachée puisqu’elle n’est même pas accessible depuis le site. Il faut fouiner sur le site mouv.fr pour la trouver. Enfin, avant de voir les bonus, on se concentre sur son profil, plutôt « punk éthique », « e-punk » ou «punk festif » que l’on partage volontiers sur les réseaux sociaux. Pour toutes ces raisons, le projet mérite bien un 14/20. On dit oui à Punk Me pour le côté jamais vu du psycho-test sur le punk et pour la découverte d’une nouvelle définition.

« Etre punk, c’est une manière de regarder le monde, d’en parler, de se poser face aux conformisme, de s’opposer face au mur de la réalité »

 

(L’équipe Punk Me).

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