Simon Bouisson, ce cinéaste 3.0
Originaire du monde de la musique, diplômé de la Fémis*, passionné par le web, le graphisme, la photo… Simon Bouisson tente de mixer tous ses savoir-faire pour bouleverser le cinéma traditionnel. Très vite, l’interaction et la personnalisation de l’objet deviennent une priorité. Avec ses premiers web-documentaires, il commence à se faire un nom. Jusqu’à la réalisation fulgurante de WEI OR DIE, un ovni cinématographique.
Propos recueillis par Vincent Chevalier (@Vince_Che) fin 2015. Extraits choisis.
Vincent Chevalier : Quand on regarde « WEI OR DIE », on peut se poser une question concernant les prises de vue. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui tournent ou ce sont de vrais caméramans ?
Simon Bouisson : Il y a un peu tous les cas de figure. Mais en général ce sont des chorégraphies, qu’on a tourné de façon traditionnelle. A part la scène d’accueil qui est un vrai multicam des comédiens, on a eu une astuce : Ludo, qui est le « deuxième année » réalisant le making-off du week-end, est le chef opérateur du film. Il tient ainsi la caméra principale et il peut être mis en scène. La plupart du temps, ce sont des trucs trichés où les jeunes font croire qu’ils tiennent la caméra mais il y a toute l’équipe derrière. Au départ, on joue le côté téléphones portables dans le bus pour donner l’illusion que ce sont vraiment des images récupérées. Mais très vite, au bout du deuxième ou troisième temps, tous les appareils sont remplacés par des caméras de cinéma tenues par de vrais opérateurs. C’était important parce que ça joue aussi sur la capacité du spectateur à tenir le coup.
VC : Est-ce que vous avez eu des retours de la part de certains professionnels du cinéma ou du web ?
SB : En regardant « WEI OR DIE », beaucoup m’ont dit : « Ah oui mais j’avais la même idée, la même envie ». C’était un peu un fantasme de réalisateur de faire un projet comme ça. Je pense aussi qu’on est tombé dans la bonne époque pour le sortir ; la technologie était prête pour pouvoir regarder un film en haute-définition sans avoir l’impression que le produit est un prototype ou réservé à une population bien équipée. Ça peut aussi avoir démocratisé une nouvelle manière de visionnage.
VC : On peut dire que vous avez vraiment travaillé la communication, avec une grosse présence sur les réseaux sociaux notamment…
SB : C’est un point que je connais maintenant. Sur le web, tout dépend de tes partenaires. Si tu n’as pas des gens qui se sont engagés préalablement, avant la sortie du film, pour relayer avec autant d’articles, autant de mise en avant sur les réseaux sociaux, c’est sûr que personne ne verra ton projet. S’il n’y a pas toute une démarche, tout un storytelling précis avec des médias partenaires qui sortent le film avec toi, personne ne le verra. Des objets comme celui-là qui buzzent d’eux-mêmes sur le web, je crois que c’est rare.
« J’aurais aimé que les sites spécialisés, dans le cinéma par exemple, parlent plus de la nouveauté de l’objet. »
VC : La cible se limitait-elle aux jeunes, aux principaux concernés ?
SB : Clairement oui, c’est sûr mais après j’ai voulu être le plus large possible. Je trouve que c’est un objet qui peut aussi intéresser un quinquagénaire, quelqu’un qui voudrait regarder un portrait de la jeunesse d’aujourd’hui, même les trentenaires qui, eux, sont plutôt fascinés par le dispositif interactif. On pouvait être assez large dans la cible. C’est peut-être mon seul regret : le fait qu’on a beaucoup trop parlé du contenu, du fond, du côté bizutage trash… Soyons honnête, c’était aussi un objectif pour nous parce qu’on savait que le sujet allait faire marcher le projet. Certains ont parlé de l’interaction et la manière de regarder ce film, mais pas assez selon moi par rapport à l’intérêt du site. J’aurais aimé que les sites spécialisés, dans le cinéma par exemple, parlent plus de la nouveauté de l’objet.
VC : Vous n’aviez pas peur justement, en sortant un film sur ce thème, que la critique dénonce un spot publicitaire géant de prévention contre les WEI ?
SB : Je ne voulais surtout pas que ce soit cela. On a modifié beaucoup de choses sur le site grâce aux tests utilisateurs, les premiers résultats montraient d’ailleurs que les gens pensaient à une campagne de prévention dès la page d’accueil. C’est pour cette raison qu’on l’a tourné beaucoup plus cinéma, avec une baseline et le nom des auteurs. Même nous, on s’est mis en avant pour qu’on comprenne bien que c’était dans un univers fictionnel. Après, encore aujourd’hui, je vois des articles qui parlent d’un objet de prévention de France Télévision, ce qui, en soi, n’est absolument pas le cas.
VC : Côté trafic généré sur le site, quels sont les retours ?
SB : On en est à 500 000 spectateurs cette semaine. Pour un objet interactif comme celui-là, c’est un record absolu. A l’échelle française c’est un très bon chiffre ; il est très rare d’arriver à ce résultat en si peu de temps. « WEI OR DIE » est sorti il y a seulement un mois et demi ! On est ravis, ça veut dire que ça a vraiment marché. Et ça veut aussi dire qu’ils sont emballés par le dispositif. Là, on est en train de travailler sur une version anglaise mais ce n’est pas la même communication. Si on le sort à l’international, je pense qu’on pourra plutôt viser les 5 millions de visiteurs.
VC : Est-ce que vous pensez que le web peut être l’un des futurs du cinéma ?
SB : Je ne pense pas que l’un soit le futur de l’autre. Je pense que le cinéma n’est pas prêt de disparaître, il a plein de ressorts même techniques avec la 3D ou la prise de son qui est de plus en plus développée. Je ne pense pas non plus que le futur du cinéma soit dans l’interaction. S’il y a une chose qui restera inaliénable, c’est que le spectateur restera passif. A côté, je suis convaincu qu’il y a des expériences de plus en plus intéressantes qui vont se développer sur le web surtout grâce à la réalité virtuelle. Il y a des conditions de visionnage qui amènent les particuliers à s’immerger et ce sont dans ces visionnages là que l’on est obligé d’injecter une interactivité par l’action spectateur.
VC : « WEI OR DIE » peut-il être considéré comme un objet journalistique, comme une sorte d’enquête fictionnée ?
SB : J’ai envie de répondre non, surtout pas, absolument pas. Je me suis vraiment battu à le réaliser dans des conditions de cinéma, à avoir des comédiens de cinéma… J’aime bien l’idée que c’est à la fois une fiction et une plateforme en ligne interactive. Même si c’est ce que l’on voit sur internet, l’interaction vient beaucoup du journalisme ou une grosse portée journalistique, moi je n’aimerais pas que ce soit vu comme tel. Ceci-dit vu le fort contexte social et le fait que ça raconte des rituels qui sont tellement proches de notre génération, de fait il peut y avoir une portée journalistique malgré nous.
*Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son