Des médias ont diffusé la fausse nouvelle de l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, même après « vérifications ». Ce cas n’est pas isolé. Les informations transmises par des sources réputées fiables ne le sont pas toujours. La vérification de l’information est alors à remettre en question aujourd’hui.
Le vendredi 11 octobre 2019, La police écossaise a annoncé l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès à l’aéroport de Glasgow. L’homme arrêté est le présumé meurtrier de sa femme et de ses quatre enfants. Les faits remontent à plus de huit ans et demi à Nantes. Disparu depuis lors, la justice française recherche Ligonnès. Quelques instants plus tard, les médias diffusent la nouvelle en boucle.
Des médias tels Libération, Le Monde, RTL, France Info, Le Parisien en ont fait un gros titre et BFM TV une éditions spéciale. Un emballement médiatique pour rien. Le lendemain, l’information de l’arrestation Xavier Dupont de Ligonnès s’est avérée fausse. Pourtant, les journalistes ont certifié avoir vérifié cette information au préalable. Mais auprès de qui?
Des sources policières trompeuses
Tout a commencé par un article du Parisien publié le vendredi soir. Les journalistes de ce journal se sont bien appuyés sur des sources policières. Romain Desarbres, journaliste de CNews dans son édito du 14 octobre 2019 déclare ceci : «Quand une information pareille commence à traverser les rédactions, je suis comme un chien de chasse qui flaire la bête. C’est une qualité pour un journaliste… Sauf que, dans cette affaire, la vérité de vendredi n’était plus celle de samedi.»
Quant à l’AFP, elle aurait vérifié l’information auprès de quatre sources avant de sortir des dépêches. Dans la pratique journalistique, la vérification d’une information auprès de trois sources suffit pour la considérer crédible et fiable. Sauf que ces sources sont de même ordre, de la police (écossaise et française).
«Si ces quatre sources sont toutes des sources policières ça ne vaut pas une source.»- Pauline Moullot, journaliste au Check News de Libération
C’est justement quand il y a eu une autre source, judiciaire cette fois-ci, provenant du procureur de Nantes Pierre Sennès, que les doutes ont commencé à émerger, corroborée de plus par les témoignages des voisins de l’homme arrêté.
Méfiance et baisse de confiance vis à vis des médias
«Chacun peut faire des erreurs. C’est grave quand c’est des journalistes,” affirme Pauline Moullot, journaliste au Check News de Libération. Cela crée la méfiance et la baisse de confiance aux médias. Selon une enquête mondiale publiée en juin 2019 par Reuters Institue, seuls 24% des deux mille sondés français ont déclaré avoir confiance dans les médias. Un chiffre en baisse de 11 points par rapport à 2018.
L’affaire Dupont de Ligonnès, a encore accentué les critiques envers les médias. Cités par Médiateur.radiofrance, des internautes réagissent. «Je suis cependant très déçu par la multiplication des éditions spéciales », «Pour un oui et pour un non et, surtout, sur la base d’informations peu fiables, prématurées, et non vérifiées.» Un autre internaute soutient que «Cette recherche permanente du sensationnel et cette surenchère médiatique permanente que côtoie désormais le ridicule achèvent de décrédibiliser le journalisme. Et tous les médias sont maintenant concernés. »
«C’est grave, mais ça arrive»
Parlant de la fausse nouvelle de l’arrestation de Ligonnès, le journaliste Romain Desarbres estime qu’il y’a eu «une erreur, pas un naufrage». C’est pourquoi tous les médias ont fait un travail de pédagogie et de transparence en expliquant ce qui c’était passé, comment ils sont tombés dans le piège de la fake news. «Il faut reconnaître l’erreur et être transparent, pour essayer de ne pas briser la confiance entièrement. C’est grave quand c’est des journalistes mais ça arrive,» explique Pauline Moullot. De son côté France Télévisions a présenté ses excuses via Twitter. «Nous aurions dû être plus prudents dans la façon de présenter les éléments de l’enquête et la direction de l’Information de France Télévisions présente ses excuses » a reconnu Yannick Letranchant, son directeur général délégué à l’information.
Peut-on encore croire aux sources officielles ?
Il arrive que des sources officielles induisent en erreur, sciemment ou non, les journalistes. Peut-on encore les croire? La question taraude les esprits des Hommes des médias.
Le jihadiste algérien, rallié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Mokhtar Belmokhtar a été plusieurs fois donné pour mort. Par exemple le 15 juin 2015, lorsque les autorités libyennes ont annoncé la mort du terroriste, tué par une frappe américaine à Ajdabiya. En mai 2016, le groupe Al-Mourabitoune diffuse une série de textes attribués à l’émir algérien, visant à prouver qu’il est bien vivant. Mokhtar Belmokhtar n’en finit pas de ressusciter…
Autre exemple, les médias se sont rendus compte, le mercredi 30 mai 2018, lors d’une conférence de presse, que le journaliste russe Arkady Babtchenko, dont la mort avait été annoncée la veille par les autorités ukrainiennes était une mise en scène. Les chefs des services de sécurité du pays ont expliqué avoir déjoué une réelle tentative d’assassinat de la part de la Russie.
Cette affaire ne va améliorer ni les relations entre la Russie et l’Ukraine ni la confiance dans l’information, souligne aussi la BBC. Sur Twitter, de nombreux journalistes européens ont regretté la «perte de crédibilité» des médias que risque bien d’avoir provoqué cette simulation, à l’heure où bon nombre d’entre-eux s’évertuent à dénoncer les “fake news” attribuées au Kremlin.
A l’annonce de la mort de du chef de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, par le président américain Donald Trump le 27 octobre 2019 «Il est mort comme un lâche», les journalistes sont restés très prudents. En témoigne les propos d’ Oriane Verdier, journaliste et spécialiste du terrorisme, dans l’émission “Appels sur l’actualité” de RFI du 28 octobre 2019.
«La mort de Al-Baghdadi ne peut jamais être totalement fiable tant que nous n’avons pas des preuves indiscutables. Par preuves indiscutables, on entend, des photos, une vidéo du raid….ou un tests ADN….» –
En pareil situation, la pratique journalistique préconise d’utiliser le conditionnel et de de donner la provenance de l’information si le journaliste tient à la publier. «Il faut toujours se poser la question de la nécessité de publier l’info dont on n’a pas pu vérifier,» conseille Gaëlle Laleix, de RFI.