7 janvier 2021

Steve Bannon : l’homme qui murmure à l’oreille des nationalistes

par Christiane Oyewo

Steve Bannon est un ovni de la scène politique américaine à la personnalité tout aussi dérangeante qu’imposante. En grande partie à l’origine de l’élection présidentielle de Donald Trump en 2016, il a mis en lumière de nouveaux outils de manipulation de l’opinion.

Steve Bannon, ancien conseiller de Trump lors d'un événement organisé par le National Indian American Public Policy Institute
Steve Bannon lors d’un événement organisé par le National Indian American Public Policy Institute – Crédit photo : Alex Garcia

Steve Bannon. Ce nom a longtemps été associé à celui de l’actuel président des USA, Donald Trump. L’homme qu’il a réussi à faire élire à la Maison-Blanche en 2016. Et le pari n’était pas gagné par avance. Donald Trump ne correspond à aucun critère habituel de la politique américaine. Son comportement ne ressemble, en rien à ses pairs. Cela en raison de son absence de morale personnelle, son attitude déroutante, ses remarques sexistes et racistes, ou encore sa façon de jongler avec la vérité.

« Grand sorcier des populistes »

Mais alors comment Bannon, cet homme venu de nulle part, a réussi à faire « l’impossible » plusieurs fois en peu de temps : intégrer rapidement le cercle très privé de Donald Trump, devenir son directeur de campagne, et lui faire gagner l’élection présidentielle ? Cela est avant tout dû au fait que Trump a un entourage qui ne vient pas d’un circuit politique traditionnel tel que nous le connaissons. Mais également grâce aux méthodes peu conventionnelles de Bannon qui lui valent souvent le qualificatif de « grand sorcier des populistes » par la presse outre manche.

 

Une stratégie de pouvoir et influence

 

Bannon, homme de l’ombre de la Maison-Blanche de novembre 2016 à août 2017 est une personne tout aussi controversée que le président, voire inquiétante selon celles et ceux qui croisent son chemin. On sait de lui qu’il a une emprise sur les autres et une haute estime de lui-même. Pour exemple en 1996, accusé de violences conjugales par son ex-épouse, cette dernière ne se rendra pas au tribunal. Si elle témoigne et que Bannon va en prison, ce dernier et son avocat Steven Mandell, feraient en sorte qu’elle soit tenue coupable et ne touche aucun argent pour subvenir aux besoins des enfants. Telles sont les menaces qui auraient été faites à Aégard selon le New York Times et le New York Post.

Qu’il s’agisse de sa vie privée ou professionnelle, le parcours de Steve Bannon est à la fois riche et chaotique. Mise à part la politique avec Donald Trump, il n’a pas connu de réel « succès » dans sa vie mais il a une sorte d’« instinct politique ». Il mène une stratégie de pouvoir et d’influence dans tout ce qu’il entreprend, ce qui lui a permis à un certain moment de rencontrer Trump selon Jean-Bernard Cadier, correspondant à Washington.

« Je veux tout faire tomber et détruire entièrement l’establishment qui prévaut aujourd’hui » Steve Bannon – The Daily Beast

Bannon est controversé mais en même temps très apprécié car obtient des résultats et l’adhésion des américains. Durant la campagne, il s’intéresse et fait en sorte que Trump s’intéresse à un type de population en particulier. Il cible celle qui se sent oubliée, celle des « blancs abandonnés » de l’Amérique profonde selon ses dires.

Et à titre personnel il pense comme eux, partage la même idéologie : ils ont été abandonnés par le système qui les laisse de côté. Il se méfie et méprise l’establishment de manière virulente (ensemble de personnes qui contrôlent l’ordre établi et qui cherchent à se maintenir). Comme s’il voulait prendre une revanche contre lui car l’a mis en échec plusieurs fois dans sa carrière. « Lénine voulait détruire l’État, et c’est aussi mon objectif. Je veux tout faire tomber et détruire entièrement l’establishment qui prévaut aujourd’hui » dit-il à Ronald Radosh de The Daily Beast. Et pour ce faire, il s’arrange pour transmettre son message aux américains grâce à divers moyens de communication, et met en place un système de forte présence médiatique.

Reflets de logos Facebook dans les lunettes d'une personne agée - Crédit photo : Régis Duvignau - REUTERS
Reflets logos Facebook – Credit photo : Régis Duvignau / REUTERS

À la tête d’une entreprise de communication politique, il était – avant d’en être renvoyé – à la direction éditoriale du site Breitbart News. Un média d’extrême droite diffusant des fausses informations basées sur une idéologie nationaliste et raciste qui estime que la culture blanche occidentale est menacée. Ce même Bannon qui a accepté d’être suivi par des caméras durant un an pour les besoins du documentaire « Steve Bannon, le Grand Manipulateur » d’Alison Klayman (sorti en septembre 2019), ne s’exprime que très peu en dehors de ses médias de prédilections. Il préfère utiliser «ses plateformes », Breitbart News, les réseaux sociaux…Des outils lui appartenant et dont il a le contrôle. Mais pour mieux « relayer » des informations grâce en partie à de la manipulation subtile.

La stratégie de Bannon est assez simple. Il faut parler de tout, occuper l’espace médiatique le plus possible. Avec Donald Trump, ils ont très bien réussi à faire cela. À monter en épingle certains sujets pour en étouffer d’autres. Comme tout ce qui concerne l’immigration, la caravane des migrants, ou encore la construction d’un mur avec le Mexique…Mais ce matraquage médiatique pour que l’on ne parle que d’un sujet en particulier ne leur est pas propre. Tous les gouvernements l’utilisent plus ou moins. Mais il faut reconnaitre qu’eux le font avec brio, que l’on soit pour ou contre leur message. Notamment sur les réseaux sociaux.

 

Manipuler les réseaux sociaux pour mieux diffuser sa pensée

 

Les réseaux sociaux sont les terrains de jeux de Bannon. Ils ont joué un rôle important dans l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Particulièrement Facebook où l’on peut y voir des publicités et messages politique, des articles sponsorisés orientés. Mais Facebook est au cœur du scandale Cambridge Analytica, une entreprise britannique de communication spécialisée dans l’analyse de données et les campagnes électorale. Elle est qualifiée de « machine à retourner le cerveau de la guerre psychologique de Steve Bannon » selon le lanceur d’alerte Christopher Wylie, créateur de la partie technologie de l’entreprise. En effet, Steve Bannon, directeur de la campagne de Trump en a été l’un des dirigeants.

Dès 2014, un faux quiz développé par la société Global Science Research circule sur Facebook via l’application de tests psychologique « thisisyourdigitallife » téléchargée par environ 270 000 utilisateurs. Ceux qui y participent, donnent sans le savoir leur informations aux sociétés Global Science Research et Cambridge Analytica. Le quiz ne se contente pas de récupérer les données des utilisateurs, il prend aussi celles de leurs « amis » Facebook, toujours sans consentement au préalable.

« 50 millions de profils concernés »

Ainsi, la société a pu obtenir des informations sur ce qu’aimait ou animait les utilisateurs, leurs likes, habitudes et envies…De quoi personnaliser au mieux les publicités à diffuser en faveur de Trump, donc d’influencer de manière subtile le vote des électeurs. Plus de 50 millions de profils sont concernés. « Nous avons exploité Facebook pour collecter des millions de profils d’individus. Et construit des modèles pour exploiter ce que nous savions d’eux et cibler leurs démons intérieurs. Voilà la base sur laquelle toute cette société est construite », explique à l’Observer Christopher Wylie. Suites à ces révélations, Facebook a banni Cambrigde Analytica de sa plateforme.

Capture d'écran compte Twitter Trump parlant des réseaux sociaux grâce à qui il a gagné
Capture d’écran du compte Twitter de Donald Trump – Crédit : @realDonaldTrump

Twitter, très utilisé par Trump et Bannon, a également sa part d’ombre.Des médias étrangers ont influencé l’opinion et l’élection présidentielle de 2016. Notamment la Russie avec le média RT (Russia Today) qui a dépense environ 228 000€ en contenus sponsorisés aux Etats-Unis en 2016. Le réseau confirme sur son blog officiel que le média russe a « fait la promotion de 1 823 tweets qui visaient de façon certaine ou probable le marché américain. » Twitter est de loin le moyen de communication privilégié du président qui tweete des décisions avant d’en informer son équipe ou les personnes concerné. Ce qui fait beaucoup parler la presse. Cependant, Steve Bannon ancien directeur de campagne de Trump, ne manque pas de d’égratigner la presse dès qu’il le peut. Pour lui, Trump parle directement aux Américains sans avoir besoin de l’aval les médias traditionnels. Médias en qui il n’a pas confiance.

 

Steve Bannon : l’image aux services des idées

 

« Je t’aime, moi non plus ». C’est ainsi que l’on pourrait définir la relation qu’a Steve Bannon avec les médias. Il entretient des rapports très limités avec eux, méprise les journalistes et la presse. Mais rejette autant les médias qu’il se sert d’eux. Il n’hésite pas à les utiliser pour faire transmettre ses messages et idées tout en les ignorant le reste du temps. Son image, comme sa communication, est très contrôlée. Mais paradoxalement, il se moque de son apparence. Contrairement à Donald Trump, son image lui importe peu. Pas rasé, pas maquillé, aucune importance. Il est comme il est et ne s’apprête pas pour la presse.

« La presse : une arme à utiliser et manipuler »

Pour lui, elle n’a pas cette utilité. Mais pour Jean-Bernard Cadier, grand reporter aux États-Unis depuis 16 ans, c’est pour lui une « arme à utiliser et manipuler » selon les besoins du moment. Bannon se sert de la presse comme un moyen et non pas une fin en soi. Il l’a abondamment utilisé à la Maison-Blanche, pour mener des combats envers les conseillers qui ne lui plaisaient pas. Notamment pour faire fuiter des choses sur ses opposants, spécialement Yvanka Trump, la fille de Donald Trump et son mari Jared Kushner qu’il ne supportait pas. Les médias n’ont d’utilité que de le servir et servir sa pensé.

Cependant, pour celui décrit comme l’« idéologue le plus dangereux d’Amérique » de la part de ses adversaires ce n’est pas suffisant. Il prend donc les chose en mains comme il l’a toujours fait et revêt différentes casquettes. Tour à tour réalisateur, producteur ou encore scénariste, il n’hésite pas à se servir du cinéma et de la télévision pour faire passer ses messages. Mais toujours dans le but d’ouvrir les yeux des citoyens et les informer sur les menaces pesantes sur les américains ou la société occidentale. Cette omniprésence de Bannon sur tous les fronts avait déjà porté ses fruits par le passé, lui apportant des admirateurs au-delà des frontières américaines. Jusqu’en Europe où il est fait appel à ses conseils en matière de communication politique.

 

Réunir les nationalistes européens

 

Bannon est très préoccupé par « l’européen blanc » qui se sent menacé, au même titre que « l’américain blanc ». Des populations se sentant abandonnés face à l’évolution rapide de la société, au danger de l’immigration. Son idéologie l’a amené à vouloir réunir les différents nationalistes européens. Il pense pouvoir les aider en apporter son savoir-faire. Début 2019 à l’approche des élections européennes, Steve Bannon assiste à une rassemblements de mouvement d’extrême droite. Il est en compagnie de figures importantes de ces partis, de Marine Le Pen à Matteo Salvini en passant par Nigel Farage. Cet américain désavoué par son propre gouvernement, a réussi à s’infiltrer et tenter d’unir les mouvements d’extrême droite européenne.

 

Marine Le Pen, Steve Bannon et Tom Van Grieken lors d'un évènement organisé à Bruxelles, le 8 décembre 2018 - Nicolas Maeterlinck - Belga Mag
Marine Le Pen, Steve Bannon et Tom Van Grieken lors d’un évènement organisé à Bruxelles en 2018 – Nicolas Maeterlinck – Belga Mag

Son implication va plus loin, en 2017, il a lancé la fondation The Movement. Elle a pour objectif l’organisation des partis populistes européens. Mais, chose étrange, Bannon n’apparaît sur aucun statut de l’association. Monsieur Mischaël Modrikamen qui figure sur les statuts en tant que dirigeant, n’a pas donné suite à nos sollicitations afin d’évoquer l’organisation et Steve Bannon.

The Movment n’est pas l’unique projet de Bannon en Europe. Il souhaite construire une université nationale populiste en Italie. Cela dans le but de « former les leaders populistes de demain » selon ses dires. Pourtant, comme l’organisation The Movement, le projet d’université n’a pas avancé depuis des mois. Et Bannon ne s’est plus exprimé concernant les deux. A-t-il laissé de côté l’Europe après avoir planté ses germes ? C’est ce que laisse penser son récent retour sur la scène médiatique. Il se focalise actuellement sur l’élection présidentielle américaine de 2020, dans un contexte d’Impeachment de Donald Trump. Il est de retour sur nos écrans.

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