21 mai 2020

Editorial : Souriez, vous n’êtes plus seuls !

par Benjamin Noël

Entre nous, entre amis, il ne vous est jamais arrivé d’avoir envie d’écouter une conversation qui ne vous était pas adressée ? Dans le tramway, assis sur votre banquette, vous regardez les deux personnes au loin dans la rame voisine. Mais de quoi peuvent-elles parler ? Si seulement on pouvait lire sur les lèvres…On ne pourrait mieux tomber ! Fin 2019, des universitaires ont travaillé avec le géant du commerce en ligne chinois, Ali Baba, pour mettre au point une technologie d’intelligence artificielle permettant de deviner, sans son, les propos d’une personne. Lire sur les lèvres. Pendant des mois, le robot a « avalé » près de 50 000 phrases en anglais et 100 000 en mandarin. Cette gigantesque base de données, le Big Data, a ainsi été rendu disponible à la machine, apprenant patiemment son nouveau langage : le deep-learning. 

L’enthousiasme pourrait nous envahir face aux possibilités de l’I.A. mais ce serait oublier les possibles dérives. Comment être sûrs de ne pas faire face au futur micro-espion le plus redoutable jamais créé ? Un robot qui lirait sur nos lèvres des propos confidentiels…Craintes exacerbées ou adorations constantes, force est de constater l’interférence de la technologie dans nos vies. Cette intermédiation est présente à toutes les échelles : de l’utilisation des réseaux sociaux dans le partage de nos idéaux démocratiques à la présence d’assistants intelligents dans nos foyers. Face aux nouvelles technologies, il semblerait n’y avoir qu’ardeurs. Pensées technophiles ou technophobes. N’existe-t-il pas de réelle alternative à la subjectivité ? Notre condition humaine ne mérite-t-elle pas plutôt de questionner, en profondeur, ces technologies ? Face à la passion des théories, il faut privilégier l’enquête froide, le calme de l’écriture, la parole aux experts, et le recours aux faits. Explorer le sujet, et en comprendre les tenants et aboutissants. 

La nouveauté est un piège qu’il convient remettre en question

« Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme » écrivait le chimiste Lavoisier. La nouveauté est un piège qu’il convient de remettre en question : tout tourne autour du passé et de l’avenir. Pour questionner le futur des technologies, il faut revenir à l’origine de la crainte d’être manipulé. Mettre à notre connaissance une petite histoire de la manipulation publique permet de questionner les pros et cons de la nouvelle technologie. L’Histoire est une continuité perpétuelle. Ainsi, les techniques d’influences d’antan existent aujourd’hui sous d’autres formes. La manipulation sous-entend une victime, le peuple. Et autant, il existe une diversité dans le peuple, autant il en existe une dans les acteurs de la manipulation. Les gouvernements n’occupent pas seuls cette place : les adeptes des rumeurs sont présents, propulsés par les réseaux sociaux. C’est le complotisme et fake news, le poids des marges, qui existe. Comment la technologie a permis un tel essor d’opinions extrêmes ? Cette interrogation n’est pas souvent – et c’est à notre honneur – posé, et elle permet pourtant de comprendre.

Qu’en est-il réellement de la méthodologie ? C’est aussi cela une exploration…Imaginez-vous être en charge d’une exploration profonde d’une grotte. Avant de connaitre votre parcours, il vous faut comprendre comment fonctionne la spéléologie. Comprendre les outils, c’est maitriser sa découverte. Saisir les mécanismes de diffusion de fake news, c’est saisir la place de la technologie entre nous et l’information. Sur la diffusion des fake news : à qui la faute ? Si le créateur d’une fake news est condamnable, ce serait se voiler la face que de ne pas évoquer la responsabilité des internautes partageant une fake news. Et ce, peu importe leur intention. Les internautes sont massivement mal éduqués par rapport au lien avec l’image, les réseaux sociaux, et les médias en général. Ce qui pourrait paraître comme un reproche ne l’est pas : c’est une erreur de la part des médias de n’avoir pas participé à la démocratisation de l’information, en expliquant les enjeux. Face à des nouvelles technologies faisant perdre la tête aux internautes, il y a recours à l’éducation aux médias. 

Et puisque l’on évoque information, médias, et nouvelles technologies, comment ne pas s’interroger sur le lien existant entre ces trois notions ? Nous évoquions au début le Big Data, le Deep-Learning, mais la liste est bien plus longue : la réalité virtuelle, le deep-fake, les bots. Une liste incroyablement longue, moins incroyable toutefois que l’impact existant de ces intelligences artificielles sur le journalisme. Les nouvelles intelligences de la désinformation sont nombreuses et sont sans aucun doute le point culminant de notre intention : face à tant d’interférences, aussi bien néfastes pour l’information qu’utiles pour le journalisme d’investigation, comment ne pas sombrer dans une vision déterministe ? En prenant le temps de lire l’exploration, et d’acquérir une réflexion en perspective.  

Au fond, les technologies, c’est avant tout une histoire d’Homme

Au fond, les technologies, c’est avant tout une histoire d’Homme. Vous, en tant qu’internaute, responsable de vos avis émis sur les réseaux sociaux. Nous, en tant que journalistes, vous proposant à l’ère du tous-journalisme un contenu professionnel. Et eux, devenant l’intermédiaire entre vous et l’information, la culture, le plaisir, le relationnel…Ces développeurs, comme Facebook vous permettant de rester en contact avec vos proches. Ces personnes qui agissent dans l’ombre, des potentiels acteurs de la manipulation politique. Comme Steve Bannon, homme d’affaires qui aurait contribué à faire élire Donald Trump au poste de président des Etats-Unis. Doté d’un sens aïgu de l’analyse de l’opinion, il permet de comprendre que derrière les nouvelles technologies se cachent avant tout des idéologistes. Toute ces intermédiations qui nous font comprendre que nous ne sommes plus seuls dans nos réflexions et interactions. La réflexion suprême d’un citoyen, c’est son choix démocratique. Mais si des personnes grâce aux intelligences artificielles s’intercalent entre nous et nos opinions…on en viendrait presqu’à dire, les élections : pièges à cons ?

Tout n’est pas perdu ! Il y a des solutions face aux technologies qui seraient celles de la désinformation. Du côté des journalistes, les nouvelles technologies – et les humains qui se cachent derrière – sont aussi un formidable levier de lutte contre la mésinformation. À l’international, comme en Afrique de l’Ouest par exemple, face aux infox : la lutte s’organise ! Face à une vision entièrement pessimiste, il existe de nombreuses alternatives, de personnes qui croient en une lutte possible – et réaliste – des fake news.  

Quand le plaisir devient dirigé par l’intelligence artificielle

Nous évoquions la multiplicité des sujets concernés par les I.A. Si l’opinion publique et l’information sont essentielles dans une démocratie, l’Homme a d’autres thèmes essentiels qui lui permettent d’être ce qu’il est. Le plaisir charnel se retrouve lui-aussi impacté par les nouvelles technologies. Les réseaux sociaux au service de la libido sont également concernés, et les interactions entre le client-internaute, et le créateur-performeur/se se font via l’intermédiaire de nouvelles technologies. Derrière une dose d’érotisme peut se cacher un usage sombre de la nouvelle technologie, notamment par l’usage de l’addiction : les algorithmes proposent aux internautes ce qu’ils veulent voir. Quand le plaisir devient dirigé par l’intelligence artificielle, en somme. Début 2019, Judith Duportail publiait « l’amour sous algorithme ». Cette journaliste, sous un récit se baladant aux frontières de la fiction et du factuel, révélait l’envers du décor de l’application de rencontre, Tinder, aux usages douteux de l’algorithme. Tout est concerné par la technologie, vous dit-on !

Cette exploration vise à interroger les nouvelles technologies, aussi dense que le sujet soit et les approches possibles : il aurait été tout aussi pertinent d’évoquer cette I.A. mise au point par des chercheurs américains capables de détecter un cancer cinq ans avant son apparition. Mais l’approche aurait là aussi été déterministe. Que les nouvelles technologies puissent être une aide à l’Humanité ou un danger pour la société, il convient d’apporter des éléments de réponses au lecteur, incarnateur du peuple souverain, pour que celui-ci se demande si au fond, l’usage qu’il fait des nouvelles technologies, dans sa globalité, restent-ils vraiment des petits partages entre amis ?

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