8 octobre 2020

Fake news : les intelligences artificielles au service du faux

par Sarah Cortay

Pourquoi partageons-nous des fake news ? Parce que la véracité d’un contenu n’est pas l’unique paramètre qui définit notre rapport à l’information. A l’heure où les infox tapissent nos fils d’actualité, les algorithmes des réseaux sociaux et les bulles de filtre complexifient encore un peu plus notre rapport à l’information.

 

L’arrivée d’Internet dans les foyers a été encensée par tous, médias comme internautes. En un « clic », chacun pouvait avoir accès à un univers de connaissances. Internet donnait par conséquent la possibilité de dépasser les frontières sociales. Quelques années plus tard, tout a basculé. Avec le développement du Web a suivi celui des réseaux sociaux. Leur atout : permettre à tous de communiquer, d’informer ou d’initier des mouvements sociaux d’envergure.

Aujourd’hui, médias et réseaux sociaux sont interdépendants. De plus en plus de personnes utilisent ces plateformes pour s’informer.

Si les réseaux sociaux permettent d’avoir accès à une base de données très importante, ils sont aussi décriés à de nombreux égards, notamment pour avoir été utilisés à des fins de manipulations de l’opinion publique lors de l’élection présidentielle du président américain Donald Trump, en 2016, ou encore lors du référendum pour le Brexit, la même année.

Pourtant, pour Pascal Froissard, maître de conférences et chercheur au Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation, les fake news ne sont pas inhérentes aux réseaux sociaux, bien au contraire. « C’est une notion vieille comme le monde ! La première loi contre les fausses nouvelles dans la presse date de 1881. Le terme a ensuite été remplacé par rumeur, intox, désinformation… En 2016, Trump évoque le premier les « fake news », sur Twitter ». C’est l’étiquette fake news qui est donc nouvelle, pas son contenu.  Cela va même plus loin pour le chercheur, qui considère que « le contrôle du mensonge, du faux, est une modalité du pouvoir. C’est pour ça que les fausses informations ont toujours existé ».

 

Capture d’écran :  » Les informations de CNN selon lesquelles je travaillerai sur The Apprentice durant mon mandat, même à mi-temps, son ridicules et fausses – FAUSSES INFORMATIONS ! « 

 

 

Edgerank : l’algorithme qui détermine les recherches

 

Ces dernières années, les réseaux sociaux ont démontré leur efficacité et leur puissance en matière de propagation de fake news. Elles sont si présentes qu’il en devient difficile de maîtriser leur flux de circulation. Et pour cause…

L’algorithme de Facebook, Edgerank, se base sur 100 000 paramètres pour déterminer ce qui va apparaître sur le fil d’actualité de ses utilisateurs. Mais son fonctionnement réel n’a pas été révélé par les actionnaires. Une chose est sûre : EdgeRank et avec lui ses homologues – à l’instar de l’algorithme de Google – jugent les contenus les plus pertinents en fonction des likes, des commentaires, de la navigation de chacun.

Difficile, donc, de devancer les fake news ou de stopper leur prolifération une fois celles-ci lancées sur la Toile.

Guillaume Brossard est le fondateur de Hoaxbuster.com, un site qui vise à déconstruire les mécanismes de désinformation sur Internet. Pour lui, les algorithmes des réseaux sociaux ne sont pas les seuls responsables de la visibilité des fake news. Ce sont d’abord les internautes qui alimentent le flux. « Les internautes veulent de l’attractif. Ils se font principalement leur avis sur un contenu à partir du titre. S’il leur plait, ils sont plus enclins à partager l’article ». Conséquence : on fait circuler l’information qui nous intéresse déjà.

 

« C’est une sorte de socialisation de l’information »

Pascal Froissard

 

Sans qu’ils en aient conscience, la plupart des internautes n’ont pas accès à des informations riches et diversifiées mais à ce que l’algorithme juge le plus pertinent pour eux. Les utilisateurs se retrouvent enfermés malgré eux dans des « bulles de filtre » – ou bulles informationnelles -, dans lesquelles leur opinion est confortée.

« C’est une sorte de socialisation de l’information. Plus je suis confronté à des informations qui m’intéressent, plus je suis enclin à cliquer dessus », développe Pascal Froissard. Difficile de sortir de sa propre représentation du monde, à moins de tromper l’algorithme ou de diversifier ses sources.  

Guillaume Brossard va même plus loin. Il considère que le développement des bulles informationnelles ne sont pas uniquement dues à notre utilisation des réseaux sociaux, mais bien à un changement global des mentalités. « On assiste à polarisation de la société. Aujourd’hui, on est pour ou contre quelque chose. Sur les réseaux sociaux, il n’y pas de zone grise. On prend comme argent comptant les informations qui vont dans le sens de notre pensée. Pas besoin de vérification ».

 

Les internautes ne sont pas les seules victimes des algorithmes. Les médias subissent eux aussi le fonctionnement des réseaux sociaux. D’une part, les bulles de filtre entretiennent la visibilité des fake news, au détriment des contenus des spécialistes de l’information qui peinent à trouver des alternatives pour gagner en visibilité. D’autre part, les Gafa (Google et Facebook en tête) font leur audience sur les contenus de la presse. Ce sont des milliards de dollars de bénéfices par an dû à cette appropriation de l’information, mais les médias n’en retirent que des miettes. Les médias se sont donc mis à monétiser leurs contenus. Pour Pascal Froissard, cela va au-delà d’une histoire de bénéfices. « On est en train de créer un système dans lequel seuls les riches peuvent se payer l’information. A l’autre bout de la chaîne, ceux qui n’ont pas les moyens et qui vont gober l’info supposément gratuite. »

Les plus pessimistes pourraient finalement considérer que les réseaux sociaux sont devenus le Fast food de l’information, avec en produit-phare les fausses informations. Pourtant, l’émergence d’Internet n’explique pas tout. C’est notre société toute entière qui change, et certains utilisateurs ont su en tirer profit.

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