4 juin 2020

Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ?

par Paul Maréchal

Une intelligence artificielle qui prend le contrôle de l’humanité toute entière et qui réduit les humains en esclavage ? Cette théorie digne d’oeuvre de fiction tel que Matrix ou Black Mirror a pourtant connu une résonance particulière dans les milieux scientifiques spécialisés dans l’informatique. En 2010, un utilisateur du nom de « Roko » écrit un article sur le site « Less wrong » dans lequel il postule, qu’au vu des progrès technologiques phénoménaux que nous réalisons depuis une trentaine d’années, il est probable que prochainement, une intelligence artificielle toute puissante émerge sur la terre.

Là où cette histoire devient pernicieuse c’est que Roko présuppose dans son article que le jour où une super intelligence artificielle apparaitra sur la terre, elle décidera de punir rétroactivement tous les humains qui n’ont pas encouragé son émergence plus rapide.
En clair, dès le moment où les gens sont informés de l’existence prochaine selon lui d’une super IA dans le futur, tout le monde doit mettre ses moyens financiers au service de son émergence au risque de « subir un enfer artificiel éternel » par l’IA omnisciente et omnipotente.

Cette publication a déclenché un effroi terrible dans le forum « Less Wrong » qui prône pourtant la rationalité comme art de vivre. A tel point que l’administrateur du site, Eliezer Yudkowsky supprima très vite le post et les commentaires associés. Ce qui eu, pour effet de décupler la légende autour de ce post et angoissa davantage les internautes et la communauté des singulitaristes. Mais rassurez-vous cette expérience du Basilic de Roko extrêmement peu plausible, ne repose sur aucune base scientifique.

Cependant elle exprime, les doutes, les crispations et les peurs qui gravitent autour de l’intelligence artificielle. C’est pourquoi Nouveaux Médias se propose de mettre le sujet à plat et de l’aborder consciencieusement, de manière journalistique. Pour comprendre sans hystériser, pour s’informer sans légendes. On s’attachera ainsi dans ce dossier à comprendre ce qu’est une IA, à retracer les étapes marquantes de son développement pour en fixer les limites.

Ne pas céder aux peurs c’est étudier; savoir d’ou viennent les intelligences artificielles. Si il est effectivement tentant de se dire que cette technologie est trop complexe pour en saisir les enjeux, le premier article de notre dossier vous propose un rattrapage. Au menu: un petit résumé de l’histoire de l’IA et une typologie des différentes familles d’intelligence artificielles. Pour être sur de faire la différence entre le « machine learning » et le « deep lerning » et pour partir avec une bonne base dans la lecture du dossier.

Ne pas céder aux peurs, c’est aussi comprendre qu’avec un marché estimé à plus de 90 milliards de dollars à l’horizon 2025, l’intelligence artificielle est un secteur clef qui suscite des convoitises économiques gigantesques. Alors que les technologies de l’IA se développent de façon exponentielle depuis plusieurs décennies, que les grandes entreprises américaines et chinoises du web sont à la pointe de la recherche, la France reste en queue de peloton. Le rapport Villani, rendu le 28 mars 2018, propose une série de recommandations destinées à dresser une feuille de route sur l’intelligence artificielle. Plus de deux ans après, où en est t-on des préconisations contenues dans le rapport Villani ? Quelle influence ce premier jalon législatif à t-il eu sur les milieux économiques français et sur les citoyens ? Un cadre législatif européen est-il en ordre de marche ?

Ne pas céder aux peurs c’est aussi s’interroger sur le sens que l’on veut donner à ces IA. L’historien Yuval Noah Harari dans son livre « 21 leçons dans pour le XXIème siècle » explique que dans moins de 20 ans plus de 60 % des emplois que connait notre société actuelle seront remplacés par l’intelligence artificielle. Cependant l’auteur de ce livre en distingue un, qui selon lui, aura toujours de l’avenir : le métier de philosophe. Car seul l’homme est apte à réfléchir sur sa propre condition, le philosophe va devenir un acteur incontournable des grands débats éthiques qui vont accompagner la montée en puissance des IA. Un article sur ce sujet, à retrouver dans notre dossier, permettra de comprendre le rôle majeur que l’éthique doit jouer dans le développement des différentes intelligences artificielles.

Ne pas céder aux peurs c’est aussi s’insurger. Contre les conditions de travail des modérateurs de contenus sur Internet par exemple. Car au delà de leur fonction de nettoyeurs du web, ces techniciens travaillent dans des conditions déplorables pour entrainer les intelligences artificielles à identifier la nature des contenus. Un cas très parlant où les humains sont au service de la machine et pas l’inverse. Autre exemple qui illustre les déviances qu’une utilisation des IA peut engendrer: le logiciel de prédiction des crimes utilisé par le gouvernement chinois. Une sorte de « minority report » qui permet de classifier et d’arrêter la population musulmane ouigoürs, en fonction d’actes qu’ils n’ont pas commis. Un décryptage très poussé est à retrouver dans notre dossier sur les IA.

Ne pas céder aux peurs c’est aussi légiférer. C’est ce qu’a fait la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) le 15 novembre 2019 en fixant toute une série de « lignes rouge » à ne pas franchir concernant la reconnaissance faciale. L’expérimentation voulue par Christian Estrosi a ainsi été retoquée. Elle visait à mettre en place des caméras de surveillance associées à un algorithme permettant de reconnaitre les individus devant un lycée. L’enjeu de collecte de données pose de fait un problème majeur quant à la récupération desdites données, par des entreprises.

Cette exploration vise donc à apporter un regard croisé et critique sur une technologie qui n’est encore qu’à ses balbutiements et dont on peine encore à saisir les portées :
conséquence démocratique avec les questions posée par l’affaire Cambridge Analytica,
conséquence économique avec l’impact dans les entreprises en terme de « destruction créatrice d’emplois » ,
conséquence philosophique enfin tant les avancées technologiques alertent nos consciences et multiplient les questionnements. Il est probable que la lecture de notre dossier génère encore des interrogations … Mais après tout, n’est ce-pas le propre du journalisme, que de soulever des discussions ?

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