À LA SOURCE DE L'INFO | Episode #9
10 septembre 2020

Guinée : La longue marche de la presse vers la liberté d’expression

par Aissata_Camara

Entre menaces de mort, poursuites judiciaires, enlèvements et autres séquestrations, les journalistes guinéens et leurs sources sont à la merci des autorités. Le cas de Moussa Moïse Sylla, poursuivi en 2017 pour atteinte à la sûreté de l’Etat, est emblématique de cette situation d’insécurité que connaissent les hommes et femmes de médias. Il reste encore un long chemin à parcourir pour atteindre une véritable liberté d’expression…

Moussa Moise Sylla dans le studio radio Espace Fm pour la liberté d'expression
Moussa Moise Sylla dans le studio radio Espace Fm le 1er Novembre 2017

 

Le premier novembre 2017, jour du 59ème anniversaire de l’armée guinéenne, le journaliste Moussa Moïse Sylla révèle de graves informations sur l’état de la sécurité et des forces de défenses guinéennes, sur le plateau du talk-show « les grandes gueules ». Le journaliste de Hadafo média, dénonce alors la vétusté des équipements militaires, des casernes, la corruption au sein de ce corps spécial ainsi que de son budget en ces termes : « Le long de nos frontières, il y’a des positions avancées, où on peut rencontrer un militaire tout seul sans arme ni munitions, ni locaux habitables. Et certains parmi ces militaires sont dans des cases menant une vie extrêmement difficile. Leur solde est inférieure à 300 euros ».

Plus loin dans l’émission, Moussa Moïse affirme que « les blessés de guerres et les militaires malades ne sont pas pris en charge par la hiérarchie et ne bénéficient pas d’évacuations sanitaires, sauf, par relation parentale alors que certains personnels civils bénéficient de ces évacuations au compte de l’armée nationale ». Il détient ces informations d’une source qu’il a qualifié de fiable. Des déclarations qui ne sont pas restées sans conséquences pour le journaliste et son média. L’organe de régulation des médias et le procureur général de la République ont vite fait de réagir.

 

Et la Haute Autorité de la Communication (HAC) dans tout ça ?

 

Au lendemain de cette émission de grande écoute tant à l’échelle nationale qu’internationale (en moyenne 5000 auditeurs par jour), la HAC a déclaré dans un communiqué suspendre les activités de la radio Espace Fm et ses antennes relais en Guinée. Une suspension de 7 jours, faite sur la base des articles 39 et 40 de la loi du 22 juin 2010 portant sur la liberté de la presse. Il a donc reproché à ce média privé la diffusion sur ses antennes d’informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité de la nation, au moral des forces armées et à l’ordre public.

Une décision attaquée quelques jours plus tard devant la cour suprême (cour de cassation) par Hadafo média pour abus d’autorité. Ce dernier a exigé de l’institution l’annulation de sa décision et le payement d’un montant de cent millions de franc guinéen soit 10.000 euros, à titre de réparation du préjudice subi auprès de sa clientèle et de ses auditeurs. «Pendant les 7 jours de suspension voulu par la HAC, comment allons-nous respecter nos engagements envers nos clients ? », s’est interrogé Kalil Oularé, directeur général d’Hadafo média, devant les journalistes.

Un recours finalement jugé irrecevable dans la forme par les juges de cette cour et non le fond de l’affaire sur lequel ils n’ont pas voulu se prononcer. Chose qu’a trouvé infondée Me Thierno Souleymane Baldé, avocat du média incriminé. « Ils ne peuvent pas invoquer l’irrecevabilité de notre recours au motif que l’on ait mentionné « requête ». Je ne comprends pas », a-t-il déclaré. C’est le commencement des ennuis judiciaires pour ce média, qui semblait bien l’ignorer.

 

Poursuite judiciaire ou intimidation ?

 

En moins de 24h, Moussa Moïse Sylla reçoit une double convocation des mains de l’agent judicaire de l’Etat, les 13 et 14 novembre 2017. La première, dès sa réception, a été frappé de nullité, pour vice de procédure. Le pool d’avocats constitué à l’occasion, parmi eux, Me Salifou Béavogui, a invoqué la violation de l’article 82 alinéa 7 du code de procédure pénale guinéen pour l’annuler. « Nous sommes au pénal et la forme commande le fond » avait-il introduit avant de poursuivre : « Ce n’est pas une défiance ni un refus de répondre mais nous attendons une nouvelle convocation qui indique l’infraction poursuivie et le droit de se faire aider par un avocat ».

Ce qui a été fait et suivi le lendemain par l’envoie d’une nouvelle convocation au journaliste, remplissant cette fois-ci les critères d’une plainte rédigée en bonne et due forme. L’« atteinte à la sureté de l’Etat » a été retenue contre lui (Moussa Moïse Sylla) comme principal chef d’accusation. Infraction punie par le code pénal guinéen, jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Le 15 novembre, jour suivant la plainte, le journaliste a été entendu à la direction des investigations judiciaires en présence du procureur de la République. Il lui a été demandé au cours de son audition de donner sa source d’information au nom du secret défense. Secret qu’il venait de franchir selon le procureur. Chose à laquelle il n’a jamais obtempéré (article 85 de la loi du 02 juin 2010 portant sur la liberté de la presse en Guinée).

Son procès qui s’est ouvert en novembre 2017 au tribunal de première instance de Mafanco, a souffert de reports successifs jusqu’en avril 2018 dans l’attente du prononcé d’un verdict. Finalement, les poursuites contre lui ont été abandonnées par désistement tacite. Les associations de presse et le syndicat privé de la presse ont dans une déclaration dénoncés et condamnés ces agissements. Ils ont aussi pris d’assauts les rues de Conakry afin de manifester leur ras-le-bol contre ce qu’ils ont qualifiés de « techniques de musellement de la presse ».

 

Des révélations réutilisées par l’armée et le gouvernement

 

A la suite de tous ces tracas, le ministre de la défense nationale, Mohamed Diané lors de son passage devant les députés à l’assemblée nationale, a défendu son budget de l’exercice 2018, sur la base des défaillances dévoilées par le journaliste d’Hadafo média. Ce qui poussera également, les députés de la commission défense nationale à faire un tour dans les garnissons du pays pour constater les faits. Un constat qui a attesté selon le rapport d’activité de cette commission, de la vétusté des casernes, des conditions misérables des soldats, bref de tout ce qu’avait dit le journaliste comme informations recueillies auprès de sa source.

Un cas qui se rapproche de l’affaire Disclose en France : des journalistes ont été auditionnés presque pour les mêmes chefs d’accusations. Ils avaient enquêté sur les ventes d’armes de la France en Arabie saoudite utilisées dans le conflit yéménite.

Malgré les menaces de mort téléphoniques, suivie d’une tentative d’assassinat, Moussa Moïse Sylla n’a jamais divulgué sa principale source dans cette affaire. Au contraire, il l’a protégée parce qu’une source, si petite soit-elle, mérite une protection.

 

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