16 mai 2019

Un monde contrôlé par les algorithmes ? Pas si sûr…

par Iman Nebie

Les algorithmes sont présents partout. Aujourd’hui, ils sont également utilisés dans le domaine de l’information. Un usage qui suscite des réactions aux antipodes. D’un côté, Jean-Paul Delahaye, professeur d’informatique voit le potentiel de ces algorithmes. De l’autre côté, Damien Desbordes, journaliste, préconise de garder de la distance. Sidoine Kambiré, étudiante en informatique et spécialiste des algorithmes, prend du recul sur les propos des deux experts.

 

Le public passe de plus en plus de temps en ligne à chercher des informations. Il laisse derrière lui des traces, des données. Celles-ci sont reprises par les algorithmes des moteurs de recherches pour proposer des informations en lien avec les précédentes requêtes. Veille informationnelle, rédaction d’articles et même discussion avec les lecteurs, les algorithmes deviennent multitâches au sein des rédactions des médias d’information et des agences de presse. Jean-Paul Delahaye nous explique pourquoi les algorithmes sont les alliés des journalistes. Par contre, Damien Desbordes présente un avis opposé.

 

Jean-Paul Delahaye: « Les algorithmes sont très utiles »

Les algorithmes sont les partenaires des journalistes. Ils les aident au quotidien en effectuant des tâches de plus en plus variées… Les moteurs de recherches commencent à jouer un rôle dans la vie quotidienne en 1995 avec Alta vista, le premier moteur de recherche, avant l’arrivée de Google en 1998. Dix ans après, Google a déjà égalé les grandes firmes informatiques comme Microsoft et Apple, déjà présentes sur le marché depuis plusieurs années. Cette notoriété s’explique par le PageRank, un algorithme d’analyse des sites internet qui participe au classement et au référencement des pages web. Les algorithmes se perfectionnent d’année en année et permettent de manipuler des quantités d’informations qui ne pourraient pas être traitées de façon manuelle, ce qui les rend très utiles… Je ne crois pas qu’ils fassent le travail des journalistes. Ils peuvent les aider dans leur travail, ils peuvent même permettre un meilleur travail et je crois que c’est le cas présentement. Pour le moment et pour encore quelques années, les algorithmes ne seront pas prêts à remplacer les journalistes. Ce sont plus des alliés sur lesquels ils peuvent compter pour améliorer leur travail au quotidien. » 

Jean-Paul Delahaye est mathématicien de formation et professeur d’informatique à l’Université de Lille 1 depuis 1981. Deux ans plus tard, il intègre le Laboratoire d’informatique fondamentale de Lille. Parmi ses anciens thèmes de recherches : la programmation logique en lien avec l’intelligence artificielle. Depuis quelques années, il participe et anime des séminaires et conférences qui traitent de la question des algorithmes en général et plus particulièrement des machines utilisées dans l’information.

“ Ils n’ont ni siège ni bureau dans les entreprises de presse. Ils ne prennent pas la parole dans les conférences de rédaction. Les algorithmes, ces programmes automatiques conçus pour obtenir et délivrer un résultat, sont les collègues invisibles des journalistes. Les lecteurs ne repèrent pas toujours, les journalistes ont appris à cohabiter avec eux sans plus de cérémonie”. Pour elle, “ ces petits robots interviennent pourtant à tous les niveaux de la production journalistique : sélection des informations, hiérarchisation, écriture, et même conversation avec les lecteurs. Leur irruption dans l’univers de l’information est sans doute la plus considérable révolution du journalisme à l’ère numérique. Et elle ne fait que commencer”.

Alice Antheaume, Journalisme numérique (2016) pages 175 à 194

Damien Desbordes: “ Le robot journalisme d’aujourd’hui est assez frileux”

« Libre arbitre, capacités d’analyses, maîtrise de la langue, les qualités du bon journaliste sont celles que nous pensons les moins reproductibles par une machine et pourtant, les robots font de multiples incursions dans le journalisme et tout un pan de notre singularité se retrouve ébranlé. L’exercice du journalisme nécessite un  ensemble de capacités humaines. En plus de celles énoncées plus haut, on peut rajouter l’empathie dont peut faire preuve l’être humain, ainsi que la contextualisation, élément important à prendre en compte pour pratiquer du journalisme. Il y a aussi, le travail de définition d’un sujet, de prise de contact avec les sources, tant de tâches difficiles à réaliser pour les robots, même s’ils ont accès à une masse importante de données…  L’un des premiers, Quakebot, a été lancé par le Los Angeles Times. Relié aux données de l’Institut géologique américain, il a été codé pour donner des informations et alerter sur les séismes en temps réel… Le robot journalisme d’aujourd’hui est assez frileux, la marge d’erreur peut être élevée. S’il s’agit d’informations erronées, leur diffusion peut avoir des incidences sur la société. Ce fut le cas en 2017, quand Quakebot a annoncé imminent un séisme qui datait en réalité du XXe siècle. En France, le journal Le Monde a été le premier média à utiliser les algorithmes dans le traitement des élections régionales en 2015. Ils sont principalement utilisés pour effectuer des tâches routinières. Cependant, le robot journalisme trouve ses failles dans la Génération automatique de texte (GAT). Il existe toute une dimension créative, indispensable à l’écriture d’un article. Le style d’écriture, la syntaxe et les jeux de mots sont des éléments propres aux journalistes. Les spécificités du journalisme demandent une connaissance du terrain, une pratique quotidienne, un contact avec les sources, travail qui pourrait difficilement être effectué par des robots.”

 

Damien Desbordes est journaliste, écrivain et poète. Il suit son cursus universitaire à l’école de journalisme et de communication d’Aix-Marseille. Son premier ouvrage, Au pays des femmes cachées, paraît en 2016. En 2017, il termine ses études avec un master de journalisme en poche. Au mois de mai 2018, il publie Les robots vont-ils remplacer les journalistes ?, un ouvrage dans lequel il explique la place que prennent aujourd’hui les algorithmes dans la pratique quotidienne du journalisme.

 

Sidoine Kambiré:“ Les robots sont les alliés des journalistes, et non leurs concurrents. »

« Les spécificités du journalisme demandent une connaissance du terrain, une pratique quotidienne, un contact avec les sources, un travail qui pourrait difficilement être effectué par des robots. La robotisation totale du journalisme se fera difficilement. Les journalistes font un métier qui nécessite un certain contact et une présence sur le terrain. Les robots sont les alliés des journalistes, et non leurs concurrents. Les algorithmes auront toujours besoin d’une source pour leur apporter les données brutes. La data science, qui est un ensemble de technologies destinées au traitement de données, regroupe des algorithmes configurés de sorte à ne pouvoir fonctionner qu’avec une quantité immense de données et de fichiers de taille importante. Ces robots ne fonctionnent pas de façon optimale avec les petites quantités d’informations. Ces avancées permettent aux journalistes d’optimiser leur temps. Ils les aident alors dans leur travail et peuvent même l’améliorer. »

“ Le secteur du journalisme est en pleine mutation. Les métiers évoluent pour s’adapter aux nouvelles technologies de diffusion de l’information. » 

Céline Authemayou, Le grand Livre des métiers, L’etudiant, 2012 

 

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