1 octobre 2020

Les Anonymous : symbole commercial ou pro-démocratique ?

par Hélène Duros

Un sourire malicieux sur un visage blanc, le masque inspiré de Guy Fawkes est aujourd’hui un incontournable des manifestations. Des révoltes de Hong-Kong jusqu’aux gilets jaunes, les Anonymous symbolisent toujours la protestation et la lutte pour la démocratie.

Photo d'Anonymous avec le masque, elle est en noir et blanc.
L’espièglerie et la raillerie, font parti de l’empreinte des Anonymous.

 

En Août 2019, le groupe «hacktiviste » Anonymous a refait surface en publiant un message sur Youtube adressé aux manifestant de Hong-Kong. «Restez forts et unifiés !», un appel clair à la mobilisation avec une critique du régime chinois,«ces types de démonstrations sont une guerre d’usure, ce qui signifie que le gouvernement espère vous survivre ».  Fondé à l’origine sur l’idéologie de la libre circulation des informations, les Anonymous ont émis petit à petit des revendications politiques.

La naissance d’un mythe

 

Anonymous c’est un mouvement qui est né sur le forum 4chan entre 2003 et 2006. Ce forum japonais en ligne, permettant de poster des message anonymement est à l’origine de nom Anonymous. A ses débuts, le groupe semble vouloir semer le désordre, mais par la suite, des messages et revendications politiques commencent à émerger. «En 2008, Les Anonymous se mobilisent beaucoup contre l’Eglise de scientologie, puis, ils ont commencé à organiser des rassemblement dans des lieux publiques, mais pour ne pas être inquiété dans la rue ils ont proposé de se cacher et c’est comme ça que le masque est né », explique Camille Gicquel, spécialisée dans les stratégies des nouveaux médias, et auteure du livre : Anonymous, la fabrique d’un mythe contemporain.

En 2010, Anonymous a réalisé l’une de ses plus grandes opérations, avec «Avenge Assange operation » (ndlr: «venger Julian Assange»), l’action a été le déclenchement d’une campagne d’attaques informatique par saturation. Leur méthode : submergé de requêtes les serveurs web, pour les bloqués souvent grâce au logiciel L.O.I.C. Le groupe a notamment visé les institutions PayPal et MasterCard car elles ne voulaient pas être employées, dans les transactions financières de donations à WikiLeaks. «Aux yeux du grand public ça paraissait comme du hacking, mais en réalité c’était un travail de rigolo fait par des gamins», explique Fabrice Epelboin. Pour l’enseignant à Sciences-po Paris, spécialiste dans la cybersécurité et le hacktivisme, et auto-entrepreneur : «La seule opération que l’on peut qualifier de complexe c’est l’opération Sony en avril 2011» elle fait suite à l’annonce de Sony, expliquant que la compagnie japonaise souhaite récupérer les adresses IP des joueurs susceptibles d’avoir piraté des jeux de playstation 3, et notamment le hacker américain George Francis Hotz aussi appelé Geohot. En soutien à celui-ci et en opposition avec Sony, le groupe lance une attaque et bloque pendant quelques temps les serveurs de jeu de Playstation.

Les Anons (diminutif pour Anonymous), ont multiplié les offensives contre les pouvoirs politiques et les grandes institutions jusqu’à être considérés commes des criminelles par le gouvernement des Etats-Unis. Avec par exemple, celle d’août 2011, aussi appelé l’opération Bart visant l’entreprise de transport de San francisco.

«Une masse informe qui fait corps», Fabrice Epelboin spécialiste en cybersécurité

L’un des membres des Anons s’est alors introduit dans le système informatique du métro, et a trouvé une photo à demi-nu de Linton Johnson, porte parole officiel du Bart. La photo a aussitôt été diffusée sur un site appelé Bartlulz, accompagné d’un message « If you are going to be a dick to the public, then I’m sure you don’t mind showing your dick to the public. » (« Si tu fais le con avec le public, j’imagine que tu n’as pas peur de montrer  ta bite au public. »). L’espièglerie et la raillerie, font parti de l’empreinte des Anonymous.

Une femme devant un ordinateur, elle porte des lumière et la photo est en noir et blanc
« Anonymous n’est pas un groupe structuré »

 

Un symbole pro-démocrate sans appartenance

 

Les valeurs et les revendications du groupe Anonymous changent selon les pays ou les manifestations. Pour autant, les luttes conservent deux idéaux communs : “«a démocratie et pour la dignité», d’après Fabrice Epelboin. Sans leader, sans courant philosophique, ni programme politique : «Anonymous n’est pas un groupe structuré, mais dans les moments clefs, les militants se rassemblent derrière ce label», explique Camille Gicquel. Anonymous serait une marque que les manifestants se réapproprient pour affirmer leurs revendications. 

Le slogan des Anonymous : «Nous sommes Anonymes. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Comptez sur nous» déshumanise les individus à l’intérieur du collectif et appelle à la mobilisation. Fabrice Epelboin, compare le mouvement à «une masse informe qui fait corps, offrant des possibilités d’action sans utiliser de face à face» Il fait aussi un parallèle entre le groupe Anonymous, la pensée communiste et syndicaliste notamment via : «leur système de prise de décision et l’universalisme de leur revendication démocratique». Le collectif s’est déjà opposé à d’autres cibles, « en 2013, au Canada, des Anons s’étaient mobilisés et affirmaient avoir retrouvés deux hommes, auteurs d’un viol qui avait engendré le suicide de Rehtaeh Parsons jeune fille de 17 ans ».

Le masque, un produit dérivé devenu symbole

 

Le symbole des Anonymous le plus emblématiques du mouvement, est le fameux masque blanc au sourire sarcastique inspiré de Guy Fawkes. Membre d’un groupe provincial catholique anglais, il était impliqué dans la Conspiration des poudres au XVIIème siècle.  Le visage a ensuite été repris  par le personnage principal d’une bande dessinée réalisée par David Lloyd. En 2006, cette bande dessinée est adaptée en film avec «V pour Vendetta», l’histoire d’une lutte contre le fascisme dans un Londres dystopique. 

Aujourd’hui, le masque s’est transformé en un symbole contestataire partout dans le monde. «Le symbole du masque est devenu un mème»(un élément détourné et repris en masse sur internet) relate Fabrice Epelboin.
Des Gilets jaunes aux révoltes de Hong Kong, l’emblème est repris par de nombreux manifestants. Ce masque se trouve être aussi une entreprise lucrative. Selon Le Figaro, en 2011, la compagnie Rubie’s a écoulé environ 100 000 exemplaires du masque de «V pour Vendetta», par an dans le monde. Avant 2011, ils ne vendaient que 5 000 masques par an. «Toute la complexité de la chose c’est que ce masque est la propriété de la société de production Warners. Pour un mouvement qui se veut contestataire, ça appartient à une multinationale, c’est un produit dérivé du film», explique Camille Gicquel.

Anonymous et Tunisiens combattent côte à côte 

 

Durant le printemps arabes, et plus particulièrement en Tunisie, le groupe Anonymous a été très actif. «Les Tunisiens sont une population technophile, lorsque que Zine el-Abidine Ben Ali était à la tête du pays, lui même passionnée de technologie, il a ouvert la Tunisie à la numérisation. Pratiquement toutes les universités avaient un pôle technologique», raconte Fabrice Epelboin. Cependant n’ayant pas de débouché dans ce secteur, le pays s’est retrouvé avec de nombreux hackers au chômage au grand potentiel.

Le groupe Anonymous a été le premier à être informé et à alerter sur les événements qui se déroulaient au Moyen-orient.

«Dignité et démocratie sont les deux revendications qui ont émergé durant le printemps arabes » , Fabrice Epelboin spécialiste en cybersécurité


Sur place, l’objectif était de faire face à la politique de censure qui était exercée par les gouvernements Arabes «
Telecomix ( groupe de cyber-militants engagés dans la lutte pour la liberté d’expression) voulait libérer les informations dans tous les pays arabes qui exercaient une censure»complète le spécialiste en cybersécurité. En janvier 2011, «on a  fait appel aux Anonymous, pour créer une passerelle avec les Etats-Unis et ainsi toucher la presse américaine»explique Fabrice Epelboin.

Dans la même mouvance les Anons ont mis hors service par saturation des serveurs de huit sites gouvernementaux tunisiens. Cela a aussi permis à des journalistes et des blogueurs de contourner la censure afin de faire circuler des informations.
Ainsi, de nombreuses vidéos et photos ont pu émerger dans les médias occidentaux, «
Il faut savoir que la France avait totalement censuré les informations provenant du printemps arabe.»Toujours en Tunisie, et grâce à la mise en place des «kits de secours», le collectif a informé les cyber-dissidents sur les façons de préserver son anonymat et de protéger ses données personnelles sur internet. Le but était de les protéger contre la surveillance du gouvernement.

Photo en noir et blanc du drapeau Tunisien
Le groupe a Anonymous a été très actif durant le printemps arabe

 

Anonymous fournissait aussi à ceux qui le voulait un logiciel permettant à n’importe qui de faire saturer un site web. En août 2011, c’est au tour du site du ministère de la défense syrienne de se faire pirater par le groupe Anonymous qui revendiquent l’attaque « Au peuple Syrien, le monde est à vos côtés, contre le régime brutal de Bachar el-Assad. Sachez que le temps et l’histoire sont de votre côté». En Egypte, les Anons ont mis en place des proxys, pour que les habitants puissent accéder aux sites et informations censurer par le gouvernement.

Le printemps arabe n’a pas fait perdre le sens de l’humour des  Anonymous, puisque les institutions gouvernementales Egyptiennes et Tunisiennes, se sont vues livrer de nombreuses pizzas commandées à leur intention par des hackers du groupe. Depuis ces attaques contre les gouvernements Arabes, beaucoup de Tunisiens sont venus gonfler les rangs des Anonymous. «Dignité et démocratie sont les deux revendications qui ont émergé durant le printemps arabes, ce sont les mêmes que l’on retrouvent aujourd’hui, elle sont devenues totalement universelles»,  témoigne Fabrice Epelboin. Le rôle des Anonymous durant le printemps arabe a été décrit comme déterminant pour les militants, ils se sont placés comme véritable défenseurs pro-démocrates.

Après le printemps arabe, le mouvement persiste dans sa lutte

 

De nombreux mouvements pro-démocratiques ont suivi le printemps Arabes : les Indignés en Espagne, Occupy Wall Street, ou encore les révoltes des parapluies à Hong Kong. Des soulèvements, à chaque fois soutenu par Anonymous, «le printemps arabe à brutalisé l’image politique des Anonymous» commente Fabrice Epelboin.

«Il est évident que le mouvement a évolué», Fabrice Epelboin spécialiste en cybersécurité

En 2014, durant les révoltes des parapluies à Hong Kong, le groupe de hacker a déclaré la guerre au gouvernement de Hong Kong, ils piratent plusieurs sites Hongkongais, laissant à chaque fois des messages de contestation :«Nous sommes malades et fatigués de votre connerie! Il s’agit de l’opération Hong-Kong. Nous n’arrêterons pas. Nous n’abandonnerons pas! Vous avez énervé tous les anons #SaveHongKong #OpHongKong # Anonymous  #Hacked ». Dans une vidéo envoyé sur le média américain News2share, le collectif menace le gouvernement Hongkongais de divulguer des informations personnelles sur des membres du parti. Les nouvelles du piratage informatique et des vidéos de soutien se sont répandues, sur twitter, le mouvement Anonymous a pris de l’ampleur, et des vidéos et des photos des révoltes sont diffusées et partagées par le collectif.

Photo du masque Anonymous dans une manifestation, elle est en noir et blanc
«Dans les gilets jaunes on retrouve ce même phénomène sans leader» explique Fabrice Epelboin

 

Le symbole contestataire des Anonymous devient universel

Aujourd’hui encore, l’idéologie des Anonymous est toujours utilisée et revendiquée dans les révoltes mondiales. «Dans les gilets jaunes on retrouve ce même phénomène sans leader» explique Fabien Epelboin. Cependant depuis 2016, on observe que les opérations de «hacking» deviennent de plus en plus rare. «Il est évident que le mouvement a évolué, les gamins du départ ont aujourd’hui une vie différente, ils n’ont sûrement plus autant de temps à se consacrer au collectif». Les cyberattaques ont donc fait place aux revendications politiques. «Les combats démocratiques reste les mêmes, mais les anonymous ont considérablement évolué avec des propositions, Il y a 10 ans les propositions n’étaient pas clair.» Les Anonymous défenseurs de la liberté, continuent leur combat contre les grandes puissances «les gilets jaunes, ce sont les enfants des Anonymous, on a juste remplacé les masques par les gilets jaunes» conclut Fabrice Epelboin.

 

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