5 novembre 2020

Les intelligences artificielles : lorsque technologie rime avec désinformation

par Charlène Robert

Deepfakes, social-bots, ou encore algorithmes : les nouvelles intelligences de la désinformation se multiplient sur les réseaux sociaux. Elles vont mêmes- jusqu’à remettre en question la figure journalistique.  

« Je souhaite dépasser ce fossé et approuver mon digne adversaire, le très honorable Jérémy Corbyn, à être Premier Ministre de notre Royaume-Uni ». Cette phrase prononcée face caméra par Boris Johnson, l’actuel Premier Ministre britannique, apparait dans un tweet publié le matin du 12 novembre 2019. Dans une seconde vidéo, Jérémy Corbyn, chef du Labour (Parti travailliste), appelle à voter pour son adversaire, Boris Johnson. Dévoilées en pleine campagne politique pour les élections législatives anticipées du 12 décembre 2019, ces vidéos ne sont pas réelles. Elles sont l’illustration du deepfake, que l’on peut traduire comme étant un hypertrucage, en somme : une synthèse d’images sous forme de vidéo. « On apprend à une IA comment fonctionne et bouge le visage d’une personne », décrit Yani Khezzar, journaliste et responsable éditorial de l’innovation pour l’information chez TF1. Élaborées par le groupe de réflexion Future Advocacy, ces vidéos ne nient pas leur inauthenticité, ainsi à la fin de chacune d’elles, les protagonistes concluent : « Je suis un fake. Aidez-nous à déraciner les deepfakes ». Yani Khezzar nous explique ce procédé : « Une fois que l’IA a assimilé suffisamment d’exemples du visage de la personne, elle va en comprendre la gymnastique. Et si vous lui donnez un texte à lui faire lire, l’IA va être capable de faire dire et faire bouger son visage à la personne de manière cohérente, réaliste et crédible. »

 

Capture d’écran vidéo deep fake de Boris Johnson et Jeremy Corbyn

 

L’objectif de ces vidéos : lancer un cri d’alerte, selon le responsable du think-thank, Areeq Cowdhury, dans un communiqué : « Ces techniques représentent une véritable menace pour la démocratie et la société dans son ensemble. Les deepfakes peuvent être utilisés pour attiser la désinformation ». On peut alors craindre de la part de ces vidéos-là, un fort impact de désinformation dans le sens où nous n’en sommes qu’aux prémices de cette technologie.  Ainsi confronté à une méconnaissance de cette pratique, et les gens moins préparés, peuvent plus facilement se laisser avoir par ce type de vidéo. Pour Yani Khezzar : « Aujourd’hui, on se retrouve avec une vidéo parfaitement crédible. À terme, elles seront indétectables ». Le deepfake est donc en train de devenir un acteur essentiel de désinformation, et selon Dominique Leglu, scientifique et directrice de rédaction pour le magazine Sciences & Avenir : « La plupart des deepfakes peuvent tromper bien au-delà de gens naïfs ou mal informés… Avec le système traditionnel, on pouvait contrôler : on arrêtait les sondages par exemple un certain temps avant l’élection. Maintenant, il peut y avoir disruption par une personne faisant dire à quelqu’un de crédible une chose qui est totalement fausse. »

 

Bots : les robots neutres au potentiel dévastateur

 

Les bots – petits robots, ou plutôt système d’interactions robotisés – foisonnent de toutes parts sur les réseaux sociaux. Cette technologie est accusée d’être un acteur-clé dans la cyberguerre. En effet, les bots peuvent être utilisés à des fins malveillantes car ils permettent, entre-autre, la diffusion en masse de fake news. Lancés en grand nombres, ces robots réalisent, de manière automatisée, une tâche qu’on leur a indiquée.

En 2018, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft…) ont décidé de sévir contre ce fléau, à commencer par le réseau social Twitter : tous les comptes automatiques sont désormais interdits, dans l’objectif d’éviter les spams et opérations malveillantes, mais malgré cela, les bots persistent. La Commission européenne souhaite par ailleurs imposer des procédures aux géants de la technologie afin de lutter contre ces robots. Parmi ces technologies robotisées, le social bot (robot social), un bot se faisant passer pour un humain. Celui-ci interfère dans des publications sur les réseaux sociaux, causant trouble et désinformation.

 

Capture d’écran d’un bot sur Twitter – Deep Question Bot, qui comme son nom l’indique, génère des questions profondes

 

Mais le danger du bot ne provient pas directement de lui-même ou de son algorithme, mais plutôt de son créateur, l’Homme. C’est ce qu’affirme Yani Khezzar : « Fabriquer de la fausse information, ce n’est pas le propre de la technologie. Le bot n’est pas codé pour ça, il est codé pour apprendre un raisonnement, donc il va faire ce que vous lui dites de faire. Derrière c’est l’intention humaine qui peut être dangereuse… ».

 

Le journaliste à la merci de l’algorithme

 

Les nouvelles intelligences de la désinformation peuvent-elles être considérées comme les nouvelles ennemies du journaliste et de l’information en général ? « Ces technologies il faut en parler beaucoup pour que les gens sachent ce que c’est », reconnaît Yani Khezzar, qui refuse de reconnaître un danger venant exclusivement de celles-ci. Un avis à l’opposé de celui de Dominique Leglu, pour qui la liste est longue entre le deep-learning (l’apprentissage profond), ou encore les algorithmes, « La question est de savoir qui crée le système et quel contrôle on peut avoir en permanence. Ce à quoi on est confronté en tant qu’éditeur, ce sont justement des algorithmes dont on n’a pas la maîtrise », regrette-t-elle.

« Les technologies, il faut en parler beaucoup pour que les gens sachent ce que c’est. »

Les algorithmes sont des suites de règles qui ont pour but de résoudre un problème. Comme exemple, on peut penser à l’algorithme du moteur de recherche Google, où le référencement devient un réel besoin économique pour les médias. « Quelle hiérarchie donner à l’information ? Quand ça marche, est-ce qu’on renchérit ? Ou est-ce qu’on publie en conscience des choses qui sont parfois jugées moins directement attirantes, mais qui méritent qu’on les traite ? », questionne Dominique Leglu. Ces technologies, en plus d’influer directement sur l’information, apportent une réflexion profonde sur le métier de journaliste et sur l’information en elle-même. La directrice de publication s’interroge constamment, se demandant si son magazine doit répondre aux critères d’un algorithme, ou comment lutter contre une fausse information…« L’espace médiatique, au sens large, est encombré de fausses nouvelles. Et c’est une des problématiques actuelles. »

Laisser un commentaire

*

*

0

Your Cart