LA GUERRE DES SVOD | Épisode #6
7 mai 2020

Netflix et Canal + : « De la rivalité à la coalition »

par Deo Kokolo

Depuis le 15 octobre, les abonnés de Canal + ont accès aux programmes Netflix dans leur bouquet. Cela fait suite au partenariat scellé mi-septembre par les deux opérateurs. Après des années de lutte acharnée, Netflix et Canal + ont enfin décidé d’unir leurs forces. Cette alliance inédite entre les deux anciens antagonistes dirigés par Reed Hastings et Vincent Bolloré en a étonné plus d’un dans le monde du streaming.

Un passé tumultueux entre Netflix et Canal +

 

Lorsqu’on interroge l’histoire, on se rend compte que les deux nouveaux partenaires sont, en réalité, deux anciens ennemis qui n’ont pas connu d’accalmie dans leurs rapports. Leur passé commun est émaillé des luttes qui ont conduit sans nul doute à l’ascension de Netflix et à la mise à terre de Canal +.

Quand Netflix vient s’installer en France en 2014, c’est un Canal + confortablement implanté dans l’Hexagone qu’il rencontre. L’opérateur californien a dû peiner pour se frayer une place dans le marché du streaming français où Canal + faisait sa loi depuis plusieurs années. Cette période a duré un an. Mais la diversité du catalogue Netflix, dès 2015, avec 11 600 programmes (contre 9 136 pour l’adversaire français) a séduit le marché français. La tendance sur le terrain a commencé à changer au profit de Netflix. Ce dernier s’affirme, petit à petit, comme un opérateur de référence avec de séries originales et d’exclusivités réalisées avec des budgets importants. À l’opposé, Canal+ faisait essentiellement la diffusion des films français plus anciens et sans production originale récente, ce qui lui complique la tâche.

Ne s’avouant pas vaincu, le groupe de Vincent Bolloré avait tenté, par deux fois, de relever la tête dans cette guerre des SVOD. Dans un premier temps, le français a réagi avec le lancement de CanalPlay (service SVOD sur le même modèle que Netflix). Malheureusement, le service subit d’importants revers face à la puissante machine de Netflix. Canal + a ensuite opté pour le renforcement de MyCanal (plateforme digitale permettant aux abonnés Canal+ de voir et revoir les programmes des chaînes de leur abonnement). Cette seconde stratégie a néanmoins permis à Canal+ de lutter à armes quasi-égales avec Netflix. Mais au final, l’opérateur américain a fini par avoir raison sur son adversaire français. En 11 ans, Canal +, qui comptait 6,4 millions d’abonnés en France fin 2008, n’en compte plus que 4,5 en 2019. En revanche, Netflix compte, en cinq ans de présence en France, 6 millions en France. Aux États-Unis, il compte 60 millions et 100 millions dans le reste du monde.

 

Graphique montrant la baisse de Canal + depuis l’arrivée de Netflix en France publié le 15 avril 2019 sur le compte Twitter

 

Mais la qualité des services n’est pas le seul élément qui a déterminé l’ascension fulgurante de Netflix et la dégringolade de Canal +. Il y a également la question relative aux statuts de ces deux opérateurs. Pour Essec chaire media digital.com, média en ligne spécialisé du digital, dans une publication datant de juin 2018, “la concurrence entre Netflix et Canal + en France est biaisée du fait qu’il s’agit de deux acteurs différents”. L’opérateur français, groupe de télévision payante, a des obligations d’investissement dans le cinéma français et européen, à raison de 12,5% de son chiffre d’affaires annuel. À l’opposé, Netflix, service de VOD, n’a aucune obligation dans ce sens.

 

Une alliance certes, mais dans quel but ?

 

A cette interrogation, plusieurs médias soutiennent qu’il s’agit d’un mariage de raison. Ou du moins, un partenariat profitable aux deux parties… à degrés variables toutefois. Chaque partie devrait se retrouver dans ce contrat. “Canal + usera de son deuxième métier, celui de distribuer. Il ne fait pas qu’éditer les chaînes, il les distribue aussi. Il va donc proposer les contenus de Netflix dans son pack Ciné/Séries », explique Enguerand Renault, rédacteur en chef de la rubrique média du journal Le Figaro dans une chronique sur Figaro Live. Ce n’est pas une pour Canal + qui a déjà, par le passé, distribué les contenus de ses prétendus concurrents. On peut, par exemple, mentionner RMC Sport et Média Pro.

A en croire l’expert spécialisé dans la culture numérique du Figaro, Netflix redoute l’arrivée des autres services américains, à savoir Disney, Apple et Amazon, sur le marché français. Aux États-Unis, la suprématie de Netflix sur le marché du streaming se trouve être menacée. Ses concurrents proposent de plus en plus des offres plus intéressantes et à moindre coût. À titre d’exemple, Disney propose à 6,99 dollars par mois outre-Atlantique. Un dollar de moins que l’offre Essentiel de Netflix, proposée à 7,99 dollars par mois. En outre, Disney propose, à ce tarif, de la 4K et un visionnage sur quatre écrans simultanés. C’est plus ou moins ce que propose Netflix via son offre Premium et son abonnement à… 15,99 dollars par mois (15,99 euros en France). Plus de deux fois plus cher donc.

En parallèle, Apple a lancé, en début novembre, sa plateforme de vidéo en ligne par abonnement, Apple TV+. L’offre ne coûte que 4,99 euros par mois. Deux fois moins cher quasiment que Netflix. La marque à la pomme offre AppleTV+ pendant un an pour tout achat d’un nouvel appareil (Ipad, Macbook, Iphone). Une offre similaire à Amazon qui propose la gratuité son service de vidéo sur internet pour tout abonnement à son programme Prime.

 

Graphique montrant la baisse de Netflix aux Etats-Unis publié le 16 avril 2019 au site Le revenu

 

Au regard de ce tableau, Netflix qui a vu son titre chuter de 4% le jour de l’annonce d’ Apple TV+, selon le revenu.com, site du magazine spécialisé en placements financiers, voit sa domination se relativiser en Amérique. Le géant redoute que la situation puisse s’exporter en France où jusque-là il impose sa loi. D’où, une alliance avec Canal + (un opérateur traditionnel du marché français) paraît salutaire pour Netflix dans sa quête de converser son leadership. « Pour Netflix, cette alliance avec Canal + lui permettra de développer ses bases sur le marché français et savoir par le truchement de Canal + comment mieux adapter son offre en France », a déclaré Nicolas Barré, directeur de la rédaction des Echos chez Europe 1 chez au cours d’une intervention médiatique.

Dans l’autre partie, le nouveau contrat devait aussi permettre le relèvement de Canal+. « Face à ce bouleversement qui arrive sur le marché de la télévision et qui s’annonce être particulièrement mortelle pour Canal +, le seul moyen pour ce dernier d’exister est d’intégrer leur offre dans son propre écosystème pour rester le point d’entrée des abonnés français dans ces offres et leur faciliter la vie plutôt que jongler entre différentes plateformes et regarder du foot et des séries », a-t-il ajouté. Plusieurs analystes s’accordent sur le fait qu’en temps normal, Netflix n’aurait pas besoin de Canal +, étant donné qu’il compte 6 millions d’abonnements en France tandis que Canal + en compte 4,5 millions comme il a été souligné ci-haut.

Le revers de la médaille

 

L’accord Netfilx et Canal + ne laisse pas sans voix certains commentateurs des SVOD. D’aucuns pensent que ce partenariat représente une bouffée d’oxygène pour l’opérateur français. Canal+ possède dorénavant dans son offre son propre contenu habituel ainsi que celui de Netflix. Cette logique voit plusieurs abonnés pencher favorablement pour au bouquet Canal+ au détriment de Netflix. Mais cette opinion se heurte à un obstacle majeur, le prix. Pour bénéficier de l’offre Netflix-Canal, les abonnés devront débourser jusqu’à 35 euros. Chose qui n’est pas du tout évidente puisque Netflix continue à proposer ses services à des prix deux voire trois fois inférieures.

Dans un tout autre registre, s’allier avec un géant de la trempe de Netflix fait craindre d’autres exégètes qui se disent sceptiques quant à l’avenir de Canal +. Cette frange redoute qu’avec ce partenariat, Canal + puisse être dévoré ou englouti par Netflix avec ses gros moyens et ses investissements importants. À ceux-ci, le patron de l’opérateur français, Vincent Bolloré lance un défi pour l’issue des choses car, répondait-il:  » j’aime les défis « .

Le double jeu de Canal +

 

Alors que le monde du streaming est encore frappé d’étonnement concernant l’alliance inédite entre Netflix et Canal +, c’est contre toute attente que Kevin Mayer, directeur de la division Direct-to-consumer and International de Disney, et Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, ont, dans un entretien aux Echos, dimanche 15 décembre, annoncé qu’une nouvelle alliance devrait voir le jour entre Canal et Disney.

Pour les avertis du monde du streaming, il s’agit plutôt d’un accord qui a été trouvé parce qu’en novembre, la Lettre A faisait état de «discussions avancées» entre Canal + et Disney. Aussi, les deux groupes sont partenaires depuis vingt ans, Canal étant le distributeur principal des films et dessins animés Disney à la télévision française.

Cet autre géant américain qui doit concurrencer Netflix, arrive en France d’ici mars 2020. C’est Canal+ qui assurera sa distribution dans l’hexagone. Avec son catalogue riche et diversifié des films historiques de Disney et des franchises comme Star Wars et Pixar, le nouvel arrivant espère se créer une place importante dans le marché concurrentiel de la vidéo à la demande par abonnement (VOD). Tout opérateur évoluant en Français, à l’instar d’Orange, SFR, Bouygues Telecom ou Iliad, devront obligatoirement passer par Canal+ pour avoir Disney +.

En fait, le service de streaming payant de Disney, lancé en novembre aux Etats-Unis, sera disponible directement pour les clients grâce à une application. Par cette collaboration, Canal + et Disney visent à toucher le plus du monde possible, au-delà de dix millions d’abonnés déjà enregistrés aux Etats-Unis. Sur l’échiquier mondial, Disney ambitionne entre 60 et 90 millions d’abonnés à l’horizon 2024.

Pour l’instant, les clauses relatives au prix de cette offre ne sont pas encore connues. Mais, comparativement aux Pays-Bas où Disney avait lancé son service en avant-première, le prix s’élève à 6,99 euros par mois. Logiquement, le prix de l’offre Disney-Canal+ devrait rester le même dans les pays d’Europe.

 

Le satisfecit de Canal +

 

Canal + s’est, pour sa part, réjoui de ce nouvel accord qui, selon lui, ne fera que consolider à la fois son métier d’éditeur et de distributeur. Pour Maxime Saada estime que : « Nous sommes à un véritable tournant de l’histoire de Canal+. En quelques mois, nous avons sécurisé pour nos abonnés l’accès à Netflix, à la Ligue des champions et à l’Europa League dès 2021, à la Ligue 1 jusqu’en 2024 et désormais à Disney+, aux chaînes Disney en exclusivité, aux films Disney et Fox seulement huit mois après leur sortie en salle ».

L’avenir nous en dira certainement plus avec Canal +, filiale de Vivendi, qui ne cesse de multiplier des alliances avec ses potentiels rivaux dans le marché du streaming.

L’accord Netflix-Canal, comment ça marche ? En clair, le partenariat Netflix-Canal + a entraîné quelques modifications des abonnements chez Canal+. La plateforme de Netflix en France est restée intacte. L’offre Ciné/Séries de Canal+ contient, dès le 15 octobre 2019, les programmes de Netflix comme il a été souligné ci-haut. L’offre est faite d’un abonnement à la chaîne premium Canal+, les contenus d’OCS (déjà contenus dans l’abonnement Ciné/Séries), plus de vingt chaînes cinéma et séries déjà présentes dans le pack Ciné/Séries et l’intégralité du catalogue de Netflix (2 écrans/HD). Elle coûte 35 euros. Cependant, c’est une offre qui ne s’adresse qu’aux anciens clients. Deux choix s’offrent à eux : le premier consiste à garder son abonnement habituel sans les programmes de Netflix. Il coûte comme à l’accoutumée 29,99 euros. Pour ce qui est de l’offre complémentaire avec Netflix, il faudra ajouter 10 euros pour bénéficier du nouveau service. Soulignons que l’abonnement tout Canal (de 79,90 euros par mois) inclut gratuitement les programmes Netflix.

 

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