14 mai 2019

Quel avenir pour les pure players ?

par Léa Corbin

Rue89, Mediapart et l’émergence des « pure players » nationaux

Lancé en 2007 le jour de l’élection de Nicolas Sarkozy, comme une sorte d’acte de résistance politique et de contre-pouvoir médiatique, Rue89 est l’un des pionniers français du journalisme en ligne. Son identité est alors cultivée par le ton décalé des articles, parfois rédigés à la première personne et traitant de sujets originaux, avec une information à trois voix (journalistes, experts et internautes) : c’est une forme de journalisme participatif. Le projet est crée il y a 11 ans, donc, par Pierre Haski, Pascal Riché et Laurent Mauriac, anciens de Libération ; Arnaud Aubron et Michel Lévy-Provençal. 

Rue89 s’inscrit dans un mouvement de création de sites d’information local, dits les « pure players », des magasines numériques qui ne sont pas issus d’un média existant.

C’est le cas de Mediapart, créé en 2008 par François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Edwy Plenel et Marie-Hélène Smiéjan. Sur un modèle similaire à celui de Rue89, Mediapart propose des articles rédigés par ses propres équipes (le « journal ») et des contenus rédigés par les internautes (le « club »)

Avec l’avénement du numérique, la majorité des lecteurs s’informent désormais sur le net, et les journaux en ligne développement l’interactivité. Le modèle des pure players permet aux lecteurs de devenir actifs, en leur offrant la possibilité de réagir et de contribuer aux articles.

 

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Le pari difficile d’alimenter un média indépendant

En 2011, Rue89 est racheté par le groupe Nouvel Obs et devient un onglet vertical du site, traitant de la vie numérique. C’est alors un moyen pour la publication de continuer à exister en proposant toujours du contenu gratuit, même si, pour certains, Rue89 a progressivement perdu ses ambitions participatives et innovantes en s’associant à l’Obs.

Slate, autre site d’information en ligne dont la version française a été lancée début 2009, a également rapidement rencontré des difficultés pour se financer uniquement par le biais de la publicité. Ainsi, depuis 2015, le magazine est controlé par les propriétaires du groupe Edmond de Rothschild, société de gestion d’actifs et investissement, qui détient 29% du capital. Les fondateurs n’en détiennent plus que 25% suite aux levées de fonds successives. 

Parallèlement, le capital de Mediapart a été ouvert à des investisseurs partenaires, qui y entrent pour des sommes allant jusqu’a 500 000 euros, et à la Société des Amis de Mediapart, une SAS rassemblant des investisseurs amicaux qui investissent des sommes allant de 5000 à 50 000 euros en moyenne.

Le site Owni, « Object Web Non Identifié », lancé le 6 Avril 2009, avait misé sur le pari de l’information gratuite et sans financement publicitaire. Mais, en décembre 2012, il a fermé ses portes suite à la déclaration de cessation de paiement de l’entreprise, et l’ouverture d’une procédure de mise en liquidation judiciaire. Les archives restent toutefois disponibles en ligne.

Le média envisageait une fusion avec la revue Usbek & Rica mais elle ne s’est pas concrétisée. En dernier recours, les salariés du site ont également tenté de changer leur modèle économique avec la mise en place d’un système d’abonnement qui aurait permis aux lecteurs de payer la somme de leur choix pour soutenir le site. Cela n’a pas suffit.

 

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Dix ans plus tard, le modèle payant se généralise

Dix ans après leur lancement, l’objectif des pure players reste le même : nourrir une forme de media inédite, numérique et participative, mais dont le contenu n’est désormais plus entièrement gratuit. Afin de résister a la crise d’indépendance de la presse et de continuer à exister de façon pérenne, les sites d’information sont emmenés à redéfinir leur modèle économique initial. 

Mediapart se distinguait déjà, à ses débuts, par son modèle payant, qui lui a permit d’atteindre un équilibre économique dès 2010. Fin 2016, le média affichait 2 millions d’euros de résultats pour 11 millions de chiffre d’affaire. 

Rue89, en difficulté financière, d’abord racheté en 2012 par le groupe l’Obs, a ensuite lui même été vendu aux actionnaires du Monde. Mais, en 2015, le site restait structurellement déficitaire. Pour Pierre Haski, « Rue89 en tant que site généraliste gratuit n’a pas trouvé son modele économique (…) », et s’adapte « dans la douleur à la réalité économique. » 

Slate, déficitaire depuis sa création, a perdu 1,3 million d’euros en 2012 pour 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires, alors que plus de 10 millions d’euros ont été investis entre 2008 et 2016.

Le modèle gratuit se révèle de plus en plus intenable pour les medias indépendants, et la mutation du marché publicitaire profite d’avantage aux géants comme Facebook et Google, capables de générer des gros volumes d’audience.

Une nouvelle forme de contenu se développe pour répondre à ces changements, le brand content, crée en partenariat avec les annonceurs. Slate est présent sur ce créneau, même si, sur le long terme, le site pourrait être emmené à se convertir à l’abonnement payant, comme Rue89 et Mediapart. 

Chaque année, cinq à six pure players sont emmenés à disparaitre tandis que d’autres voient le jour. L’évolution de ce nouveau marché est aujourd’hui incertaine ; les pure players font face à la « coopération concurrente ». Ils doivent se regrouper pour être visibles, tout en se démarquant les uns des autres grâce a leur contenu, afin de trouver leur public et d’atteindre un nombre d’abonnés suffisant pour rester autonomes.

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