9 avril 2020

Twitch : Un business lucratif pour les streamers

par Bolat Kutlu

Racheté par le géant du commerce en ligne Amazon en 2014, Twitch connaît un succès croissant depuis sa création en 2011. C’est aujourd’hui la principale plateforme mondiale de diffusion streaming, avec plus de 100 millions de visiteurs uniques par mois. Découverte des coulisses d’une plateforme qui connaît une économie florissante pour les producteurs de contenu.

 

Yomax, streamer sur Twitch. Capture d'écran Twitch
Yomax, streamer sur Twitch. Capture d’écran Twitch

 

De FIFA à Fortnite ou encore League of Legends, la consommation des jeux vidéo est en plein boom aujourd’hui. Certaines plateformes comme Twitch ont permis à des joueurs de gagner en visibilité en streamant leurs parties. L’an dernier, près de 10 milliards d’heures de vidéos y ont été visionnées. Sur Twitch, une référence en termes de diffusion streaming, les streamers peuvent se filmer en train de jouer aux jeux vidéo tout en échangeant avec leur communauté, faire des vlogs, ou même soutenir la grève sociale, comme l’ont fait le collectif de streamers “Le Stream Reconductible” le 5 décembre 2019. Ces producteurs de contenus passent plusieurs heures par jour devant leurs écrans.

C’est le cas de Yomax, un adepte de Twitch, qui joue principalement à FIFA.  Avec plus d’un million d’abonnés sur YouTube, 200 000 followers et 820 « subs » ( abonnés NDLR) sur Twitch, le grenoblois âgé de 24 ans est le streamer français le plus influent de la communauté FIFA. Ayant débuté en 2014 sur la plateforme, il s’y consacre plus particulièrement depuis 8 mois.

« La facilité à faire des streams où on a juste besoin de filmer est l’un des avantages de Twitch  », Yomax

Avec ses 820 subs, qui cotisent minimum 5$ par mois, il s’assure à minima 2050 dollars (1837 euros) seulement avec les abonnements, Twitch récupère 50% des 5 dollars sur ceux-ci.

Moins influent dans la scène du live stream, Abdel  Fares, alias “Mence”, joueur professionnel de FIFA dans la structure IFY Esports créé par Yomax, est un des meilleurs joueurs français sur le jeu vidéo créé par EA, mais il estime n’être pas assez actif sur la plateforme pour être connu. « Je ne fais pas assez d’efforts pour « percer » sur Twitch. Il faut selon moi plusieurs critères. Être naturel sinon la communauté le verra très vite, savoir parler correctement, être bon dans un jeu, être créatif et savoir lier la compétition et la communauté », explique Abdel Fares.

 

Abdel Fares, joueur professionnel de FIFA chez lui à Lantignié. Photo/Bolat KUTLU
Abdel Fares, joueur professionnel de FIFA chez lui à Lantignié. Photo/Bolat KUTLU

 

Le problème serait donc le temps alloué à Twitch ; or les compétitions de FIFA ne le lui permettent pas, contrairement à Yomax, de se consacrer entièrement au streaming. Le chef de la IFY eSports lie deux plateformes comme beaucoup de streamers actuellement et a donc une rentrée d’argent plus conséquente. Il réalise ses lives sur Twitch, puis son monteur indépendant garde les meilleurs moments du live pour créer une vidéo sur Youtube.

 

La communauté, un soutien financier important pour les streamers

 

Contrairement aux idées reçues sur la vision des lives, l’argent remporté par les streamers ne vient pas exclusivement de la publicité, mais surtout de leur communauté. Les utilisateurs de Twitch ont la possibilité de souscrire à un abonnement payant pour suivre leur personnalité favorite de plus près et recevoir des stickers exclusifs, tout ça pour la modique somme de 5 dollars par mois. Yomax explique : « les subs peuvent discuter avec moi lorsque je déclenche une publicité qui met en pause le live ».

Selon le site officiel de Twitch, il existe d’autres types d’abonnements. « Les partenaires peuvent créer des avantages supplémentaires pour chaque option d’abonnement. Par exemple, l’accès à des émoticônes supplémentaires pour les abonnements à 9,99 $ (8.95 euros) et 24,99 $ (22.40 euros) ».

Les streamers peuvent aussi compter sur les dons effectués par la communauté, il en existe plusieurs sortes comme le « pourboire », qui permet aux spectateurs d’afficher leurs commentaires sur l’écran du streamer en live pendant une dizaine de secondes. Le but est d’attirer l’attention de leur idole, chose quasiment impossible sur le chat inondé par des centaines de commentaires en même temps.

 

Des « Tips » payables en monnaie virtuelle

 

Depuis 2017, il est également possible, avec un système de dons propre à la plateforme, de donner des « Tips » (pourboire) avec les Bits, une devise virtuelle. Cette dernière permet de faire un don au streamer de son choix, là encore afin de voir son pseudo orné d’icônes animés et attirer l’attention.

 

Les Bits, la devise virtuelle avec des icônes animées. Photo/Twitch
Les Bits, la devise virtuelle avec des icônes animées. Photo/Twitch

 

L’avantage des « Tips » pour Twitch ? L’entreprise californienne récupère sa part lors des achats de Bits. Pour le plus petit montant de 1,40 $ (équivalent à 100 bits), la plateforme taxe à 29% soit 40 centimes sur la somme du don. Le streamer ne récupère alors qu’un dollar, contrairement aux pourboires directs non taxés par la plateforme, les «Tips » sont un énorme avantage pour l’entreprise.

Cela reste moins que la part que prend la société sur les abonnements (subs) taxées à 50%. « Ils ont réussi à monétiser la proximité qu’ils entretiennent avec leur audience », explique Emmanuel Berne, directeur des études de l’agence de publicité Heaven. Selon lui, en moyenne les dons rapportent 2500 dollars (2245 euros) par mois pour un streamer à 145 000 vues.

 

Une transformation de la culture web

 

Pour Adrien, un fan de Yomax, le don est l’occasion de pouvoir discuter avec son streamer préféré. « J’ai déjà donné 20 euros pour Yomax il y a trois ans avec le compte de ma mère (rires). Mais je l’ai fait aussi car ça me permet de dire à mes amis que je suis passé sur le stream de Yomax », déclare avec le sourire, le jeune de 14 ans.  Quant à Léo, grand fan de FIFA, récompenser les bons streamers est une évidence, il l’a déjà fait plusieurs fois. L’adolescent de 16 ans ne regarde pas la télé, il préfère visionner les parties de Yomax sur le mode FIFA Ultimate Team. « Je le suis à chaque fois qu’il fait un live, si Yohann tire un bon joueur (dans le mode FUT du jeu vidéo FIFA, ndlr) alors je suis heureux comme lui l’est. »

Mais les abonnements et les dons ne sont pas les seuls moyens de rémunération pour les streamers. Il existe aussi la publicité, avec des règles bien différentes de la télé. Les producteurs de contenus ont la possibilité d’appuyer sur un bouton vert à n’importe quel moment de leur session. Ce dernier envoie alors un spot publicitaire de 30 secondes à tous les spectateurs.

Plus qu’une plateforme de jeux vidéo, pour Alexandre Dachary, co-organisateur de la Z Event et streamer,

« Twitch a changé la manière dont les communautés créent et changent », Alexandre Dachary

Certains adolescents comme Léo ont toujours un écran avec Twitch en fond d’allumé et pense que Twitch est beaucoup plus intéressant que la TV traditionnelle. « Twitch est une nouvelle manière de regarder des produits audiovisuels. Pour ma part c’est un divertissement, ça me permet de suivre au quotidien des streamers, et donc faire partie de leur vie. Il existe tellement de streamers, qu’on peut en regarder des milliers. » Ainsi contrairement à la télévision où il existe un nombre de chaîne limité, le streaming donne des possibilités de visionnage quasiment infinies.

Depuis le mois de novembre, la plateforme connaît plusieurs changements. Auparavant, à chaque début de live, l’utilisateur devait regarder une pub vidéo. Désormais, les streamers peuvent désactiver cette fonction pour mettre la publicité plus tard dans le live. Autre changement, il n’est plus obligatoire d’être partenaire Twitch pour gagner des revenus grâce aux vidéos publicitaires. N’importe quel streamer affilié pourra obtenir quelques ressources grâce aux publicités.  Pour être « affilié », plusieurs conditions sont néanmoins requises. Il faut au moins 7 jours uniques de diffusion au cours des 30 derniers jours, et au moins 50 followers. Il y a aussi les sponsors comme revenu possible, comme l’entreprise d’informatique Razer qui fournit à Yomax très souvent des produits informatiques de bonne facture. En contrepartie ce dernier doit déballer ses cadeaux en direct sur Twitch.

 

Une hégémonie qui touche à sa fin ?

 

Contrairement à Yomax fidèle à la plateforme, certains streamers migrent dans d’autres plateformes et Twitch, qui n’avait jusque-là aucune vraie concurrence, est mis en danger. Deux géants de la GAFAM s’affrontent et c’est Microsoft qui attaque en premier la plateforme d’Amazon de plein front. La multinationale a réussi à convaincre plusieurs streamers très influents de rejoindre Mixer, une nouvelle plateforme de diffusion de jeux vidéo. Elle a même réussi ce qui semblait impossible jusqu’alors : Attirer le plus gros streamer de Twitch, Tyler Blevins.

Plus connu sous le pseudonyme de Ninja, il était le streamer le plus connu de Twitch avec plus de 14 millions de followers et encaissait plus de 500 000 dollars par mois grâce aux revenus liés à sa notoriété sur la plateforme. Il a finalement accepté de quitter l’entreprise d’Amazon pour rejoindre Mixer avec une grosse contrepartie financière. La concurrence se creuse donc, et avec Facebook et Youtube Gaming également intéressés par ce marché, cette guerre des plateformes de diffusion de streaming ne fait que commencer.

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