17 octobre 2019

Les voitures autonomes, un investissement à risque

par Guillaume Kagni

D’après une étude de l’institut Ipsos, 24% des Français sont favorables aux voitures autonomes. A contrario, 51% estiment que cette technologie est trop dangereuse. Il est donc difficile d’anticiper les réactions en cas d’investissement. Après avoir vu ses avantages, nous allons aujourd’hui nous pencher sur ses inconvénients.  

 

LES MOINS DE LA TECHNOLOGIE AUTONOME

 

À l’heure actuelle, le « conducteur » est toujours responsable en cas d’incident.

Malheureusement, pour l’instant, il n’existe pas de système ou de législation permettant aux conducteurs d’éviter d’être tenus pour responsables d’un accident. La technologie n’est pas assez développée et répandue sur les routes. « Pour l’instant, il y a seulement des éléments sur les essais des voitures autonomes. Maintenant, il y a des réflexions qui sont menées au niveau international sur ces questions là, avec un certains nombre de réticences à faire bouger le cadre juridique. D’une part, on est toujours dans un schéma dans lequel le conducteur reste responsable. Ce qui est une règle de base. Il est censé reprendre la main quand il y a des problèmes. Aujourd’hui on est à un niveau sur lequel les fonctions autonomes sont toujours sous la supervision d’un conducteur. Sa responsabilité reste engagée », explique Marc Clément. L’attente en terme de législation est aussi de mise chez les constructeurs. Pour Jean François Bonnefon, médaille de bronze du CNRS, « ce qu’ils attendent, c’est que les gouvernements ou les agences de régulations leur disent quoi faire. » Autant dire que les constructeurs ne se posent pas pour le moment la question de savoir comment assurer le minimum de litiges. 

Il n’existe pas de système ou de législation permettant aux conducteurs d’éviter d’être tenus pour responsables d’un accident.

Parmi les solutions pour contrôler et suivre les véhicules, l’installation de boites noires est envisagée. Comme dans les avions, ce dispositif permet de savoir quelles actions ont été effectuées jusqu’à 10 minutes avant un accident. « La notion de boite noire peut être intéressante dans le cas où le conducteur doit faire quelque chose. C’est un peu de l’espionnage. » Le terme employé par le magistrat est fort, mais il effleure une réalité qui peut déranger en terme d’éthique. L’installation d’un tel dispositif permettrait aux experts, mais aussi aux employeurs, de potentiellement observer les moindres faits et gestes des passagers. Ce qui nous amène au dernier point.

Il faut faire face aux réticences.

Un employé ou un chauffeur va t-il accepter d’être pisté en permanence ? Cela reste difficile à mesurer, mais chacun peut se demander si c’est une solution « acceptable » en terme d’éthique. La réticence face à l’emploi des voitures autonomes peut aussi venir de la « suppression des libertés », comme l’explique Marc Clément. « Les véhicules qui vous empêchent de dépasser une certaine vitesse par exemple, peut-on dire qu’ils enlèvent une forme de liberté ? Être libre, est-ce pouvoir être dans l’illégalité parfois ? Sûrement. » Forcer ses chauffeurs à respecter à la lettre le code de la route est une idée louable. Mais accepteront-ils de se plier aux rythmes des machines ? « Si ce camion limite tous nos mouvements, je me vois mal monter à bord. Le plaisir vient du sentiment de liberté que l’on peut avoir sur la route », explique Karim, chauffeur routier.

De plus « il faut savoir que si vous êtes un conducteur rationnel, vous regardez le gain de sécurité des voitures autonomes. Si on vous dit qu’à ce stade une voiture autonome est 20% plus sûre que le conducteur moyen, ce qui signifie une baisse des accidents de 20%, vous vous dites : « Est ce que c’est bien pour moi de rouler dans une voiture qui est 20% plus sûre que le conducteur moyen ? Ai-je une conduite à risques ? » Avec des sondages, on se rend compte que la plupart des gens imaginent être meilleur que 80% des conducteurs.»  Selon lui, cette surestimation de sa propre capacité à conduire amène les gens à se demander pourquoi ils rouleraient dans une voiture autonome alors qu’ils conduisent mieux qu’un automobiliste moyen.

PORTRAITS DES EXPERTS 

 

Jean François Bonnefon

À 45 ans, il n’est plus à présenter pour tous ceux qui se sont un jour penchés sur le cas des voitures autonomes. Docteur en psychologie cognitive, il est également directeur de recherche à la Toulouse School of Economics. Il obtient la médaille de bronze du CNRS pour les résultats probants de ses premières recherches. Publié dans plus d’une centaine de revues scientifiques telles que Science, le chercheur est actuellement en poste à Boston, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’institut de recherche le plus prestigieux au monde (plus d’une dizaine de prix Nobel au compteur). Là-bas, il enquête sur les voitures autonomes. Toujours lié à sa spécialité des sciences cognitives, il « étudie les gens, comme on étudierait des ordinateurs très sophistiqués ». Dans le cadre de ses recherches, Jean-François Bonnefon lance le site « Moral Machine », visant à soumettre au public des situations extrêmes qui pourraient pourtant avoir lieu dans des voitures autonomes. Pourquoi ce sujet ? Car « la voiture autonome est un exemple fantastique parce que c’est un domaine où l’IA est sur le point de tout révolutionner avec un objet, la voiture, qui est dans le quotidien de quasiment tout le monde. »

 

Marc Clément

Marc Clément est un magistrat, président de chambre au Tribunal administratif de Lyon. Si de prime abord la robotique peut sembler loin d’être son domaine de prédilection, dans les faits, son avis est tout ce qu’il y a de plus légitime. Avant d’exercer une fonction dans le système juridique français, Marc Clément était ingénieur. Après avoir suivi une formation en génie civil à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, il débute une carrière « dans la recherche en matière d’informatique. D’abord à EDF et ensuite dans le groupe Lyonnaise des eaux ». Il y occupe un poste de « directeur adjoint dans le laboratoire responsable de l’intelligence artificielle». Celui qui détient aujourd’hui une place « au comité de déontologie de l’IRSN (l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire) », ou encore au « Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable », se dit lui même influencé par son passé d’ingénieur dans l’exercice de ses fonctions. « Je suis intéressé par l’informatique et le numérique ; ce sont des espaces où il est intéressant d’avoir une compréhension technique de ce qu’il se passe pour pouvoir voir au delà de ce qu’on peut nous raconter ». Cette passion pour les mondes de la robotique et de la magistrature lui permettent d’envisager l’avenir.

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