DESIGN ETHIQUE | Episode #11
30 janvier 2020

« Le privacy by design : une manière de commencer un projet »

par Eva Gosselin

Est-il possible de concilier design éthique et innovation technologique de manière pérenne ? Du côté des développeurs, il est surtout important de placer la limite entre innovation et éthique. Mais, pour Yann Lechelle, COO chez Snips, le design éthique est le nouvel ADN du numérique.

 

Yann Lechelle, COO chez Snips, le privacy by design

 

C’est une opportunité massive pour les entreprises du numérique. Qui plus est, à fonctionnalités équivalentes le consommateur aura toujours tendance à choisir le produit qui est éthique. C’est un peu comme manger bio ou consommer quelque chose qui préserve la planète. On considère à l’inverse que tout ce qui est dans le cloud va devenir un poids [ndlr : pour les GAFA]. Toutes les sociétés qui ont capté trop de données vont se faire attraper par la CNIL et le RGPD [ndlr : le règlement général sur la protection des données] ou se faire hacker et cela va se retourner contre eux.

On peut penser que le privacy by design ou l’ethics by design, par raccourci, c’est tout simplement coller la notion éthique de manière cosmétique à quelque chose. Certains ont des produits qui sont peu différenciés et vont choisir de se rajouter ce label. Ils seront nombreux tant qu’il n’y a pas un régulateur qui organise tout cela. C’est du marketing. Mais en réalité, c’est une vraie nouvelle tendance parce qu’il y a une réaction nécessaire du marché des consommateurs.

On a tous payé le prix que Facebook soit trop libéral sur son exploitation. On peut adhérer à la théorie qu’en effet Trump a été élu ou favorisé par Facebook. Cela ne veut pas dire que les plateformes sont mauvaises en elles-mêmes. Mais il y a une perte de contrôle, voire une prise de contrôle, par des entités malignes. Et cela coûte cher à terme à ces plateformes. Si on donne le choix aux consommateurs, ils vont préférer la version éthique. Parce que cette notion intrinsèque, ce n’est pas une question de bien ou de mal mais une question de moins pire.

 

Le privacy by design – la nouvelle tendance

 

Je remonte deux ou trois ans en arrière. Quand on discutait avec des investisseurs étrangers, ils nous disaient « vous ne capturez pas la data donc vous ne valez rien ». C’était il y a trois ans. Aujourd’hui, on n’a plus du tout à avoir cette discussion. Les gens comprennent tout de suite la valeur intrinsèque de la technologie qui ne partage pas les données by default. Le privacy by design est quelque chose, en tout cas dans notre cas, qui a une vraie valeur. Certains ont repris ce label mais c’est faux. Ils veulent faire du privacy et on peut essayer de leur faire confiance mais cela ne veut pas dire que ma privacy est protégée. Parce qu’ils ont des faiblesses, parce qu’ils ont pensé après coup. Peut-être que la bonne volonté de la privacy était dans le design.

Le privacy by design pourrait devenir un motif véritable, une manière de commencer un projet, et là on aurait en effet quelque chose d’intéressant. Donc cela pourrait être un outil de design. Le privacy by design pourrait être un prérequis. Une société qui dirait « nous, on ne fait que du privacy by design sur un tas de produits et c’est comme ça que l’on fonctionne, ça devient une marque, un ADN ».

 

Une Renaissance 2.0 à travers un digital qui est juste

 

Je crois beaucoup à cette notion de privacy by design à l’européenne, adoubée par le RGPD. Je pense qu’on est en train de passer à côté d’une opportunité bien plus grande, dont on aurait besoin en tant qu’Européens parce qu’il nous manque un projet de société qui nous distingue du reste du monde. Qui nous distingue des États-Unis, de la Chine. Aux États-Unis, ce qui n’est pas illégal est moral donc ils font n’importe quoi. Et en Chine ce n’est pas une question de moralité mais une question de droit d’État dont tout le monde accepte la règle du jeu, en tout cas aujourd’hui.

En Europe, c’est différent. Nous sommes tous issus d’un courant philosophique puissant de la Renaissance, des Lumières, des droits fondamentaux, la liberté de penser et d’être. Donc je me dis que quelque part, plutôt que de se battre sur le champ réglementaire, il faut se battre sur le champ philosophique pour créer une vie sociétale, une société digitale apaisée. Une Renaissance 2.0 à travers un digital qui est juste. Je dirais que l’éthique pourrait se retrouver au cœur de notre société et définir ce qu’est l’Europe comme modèle alternatif à deux autres modèles qui ne sont pas les nôtres.

 

En savoir plus sur Yann Lechelle

 

Mordu d’informatique depuis qu’il a dix ans, âge où il a commencé à faire ses premières lignes de codes, Yann Lechelle s’est investi dans le numérique tout au long de sa carrière. Après avoir successivement travaillé dans l’ingénierie informatique, le dessin numérique ou encore la finance, il s’est finalement reconnu dans le métier d’entrepreneur. Yann Lechelle est ainsi le fondateur ou co-fondateur de cinq start-ups qu’il a tour à tour revendues.  

Depuis quatre ans, il fait partie de l’équipe de Snips en tant que directeur des opérations. Au sein de cette start-up, il a collaboré à la création d’un assistant vocal éthique qui n’enregistre pas les données personnelles de son utilisateur. L’autre originalité de ce logiciel est de s’intégrer dans l’espace et non d’être un objet. Aujourd’hui, Snips discute avec plus de 1 000 sociétés pour leur faire adopter cet assistant vocal respectueux des données personnelles. Pour lui, “Les GAFA créent leur propre vortex pour faire émerger un assistant vocal ultime qui serait le point d’entrée pour tout. Notre société va peut-être réussir à créer l’inverse : une multitude d’assistants où chaque objet devient communicant et représente sa propre marque. »

 

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