À LA SOURCE DE L'INFO | Épisode #1
12 mars 2020

Édito À la source de l’information

par Pauline ROUBAUD

Dans mon enfance, le week-end, on partait souvent se balader en famille jusqu’à la source. Nous « montions » à la source. Elle se trouvait au dessus de la maison, trente minutes à crapahuter sur un petit sentier, à traverser les bosquet de buis et à s’accrocher aux branches des pins, tout en essayant d’éviter les horribles buissons piquants. Au fur et à mesure que l’on s’approchait, un doux bruit s’élevait. C’était toujours marquant d’observer ce petit filet d’eau clair et limpide jaillir de la terre, en imaginant que 500 mètres plus bas, il finirait dans nos verres.

Finalement l’approche journalistique d’une source n’est pas si éloignée de ce rituel du dimanche. Sortir, crapahuter, rechercher, observer et écouter. Une source se trouve en amont de n’importe quelle information, comme de n’importe quel cours d’eau. Et la pluralité des sources est égale à la diversité des cours d’eaux, fleuves, rivières et ruisseaux.

 

Aujourd’hui, on parle « d’open data » et de « crowdsourcing »

 

Les sources journalistiques sont anonymes ou non, parfois se nomment Greta Thunberg, le GIEC, Édouard Philippe, la CGT, la Police ou l’épicier du coin de la rue. Enfin… L’avénement d’Internet, comme toute nouvelle avancée technologique majeure, a bouleversé le monde, et les pratiques journalistiques n’y ont pas échappé.

Aujourd’hui, on parle « d’open data » et de « crowdsourcing », c’est-à-dire de sources ouvertes en libre accès et de production participative. Si Albert Londres jugeait primordiale d’assister aux événements, alléguant qu’un « vrai reporter doit savoir écouter et regarder », le journaliste du 21ème siècle peut, grâce aux technologiques de l’information et de la communication (TIC), rétablir la vérité et pondre un excellent sujet sans quitter son bureau. C’est la méthode choisie par deux journalistes de la BBC, Aliaume Leroy et Benjamin Strick en 2018, dans leur reportage Anatony of a Killing. Grâce à Google earth, Digitalglobe, Getty images et d’autres outils du numérique, ils ont pu révéler les exactions de l’armée camerounaise sur des civils en juillet 2018.

 

Le journaliste et sa source partagent une relation particulière

 

Le journaliste et sa source partagent une relation particulière, un mélange de curiosité, d’envie de comprendre, d’empathie et de réserve. Pour autant le journaliste, une fois rentré à la rédaction, devra interroger et vérifier tout ce qu’on lui a dit. La vérification de l’information est une étape importante dans la production de l’information, car l’erreur peut s’avérer fatale. L’affaire Xavier Dupont de Ligonnès en est l’exemple.

De plus, les sources malintentionnées existent, notamment chez les sources officielles. Les journalistes peuvent-ils encore faire confiance à leurs sources ? Aujourd’hui la question se pose dans les rédactions, alors qu’un rapport inquiétant de Reuters Institute paru en juin 2019, affirme que moins d’un français sur quatre fait confiance aux médias. Un chiffre en baisse par rapport à 2018…

 

Un journaliste a le devoir de protéger sa source

 

Aussi, quand le journaliste ne se méfie pas de sa source, il a le devoir de la protéger. Notamment, parce que celle-ci peut être amenée à révéler des informations sensibles. Et donc s’attendre à subir intimidations, représailles, poursuites judiciaires ou dans le pire des cas, menaces de mort et tentatives d’assassinat. Moussa Moïse Sylla, journaliste guinéen pour la radio Hadafo Médias, a révélé en 2017 la vétusté des équipements militaires guinéens et la corruption au sein de l’Armée. Le journaliste a immédiatement été poursuivi pour « atteinte à la sureté de l’État », pour autant, malgré les pressions et menaces exercées contre lui, il n’a jamais révélé sa source.

Une affaire qui rappelle celle du collectif français de journalisme d’investigation, Disclose. Trois journalistes ont été convoqués en 2019 par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), après avoir révélé la vente d’armes françaises -utilisées dans le conflit yéménite-, par l’État français à l’Arabie-Saoudite et aux Émirats arabes unis. « Une intimidation dans le but d’identifier nos sources » arguent les journalistes mis en cause, alors que la loi du 4 janvier 2010, relative à la protection du secret des sources des journalistes, est justement là pour protéger ces sources.

 

Quand ce n’est pas un média qui dénonce un dysfonctionnement ou une faille, il arrive qu’une personne le fasse publiquement

 

Quand ce n’est pas un média qui dénonce un dysfonctionnement ou une faille, il arrive qu’une personne le fasse publiquement, à visage découvert, pour l’intérêt général. On appelle ces hommes et ces femmes des « lanceurs d’alertes ». Tous le monde se souvient d’Edward Snowden, le plus célèbre d’entre eux, lors de sa cavale à Hong-Kong, en pleine révélations sur les États-Unis et la NSA et la surveillance de masse qu’ils exerçaient dans le monde entier.

En France en 2017, la justice française a relaxé la première lanceuse d’alerte de son histoire. Céline Boussié était poursuivie pour diffamation, après avoir révélé et dénoncé publiquement les maltraitances que subissaient les enfants polyhandicapés d’un institut médico-éducatif privé, situé dans le Gers. Une victoire pour le combat de la lanceuse d’alerte, tout autant que pour la liberté d’expression et la démocratie française. Mais à quel prix ?

Face à cette parole publique souvent craintive et bâillonnée, des hommes et des femmes issus de la société civile se regroupent pour réclamer plus de justice et de liberté. C’est le cas des Anonymous, ces fameux « pirates » du web. Né en 2008, aux États-Unis, ce groupe d’anonymes cyber-activistes est devenu l’un des symboles des luttes pro-démocratiques du monde entier. De la Tunisie et son printemps arabe à Hong- Kong, en passant par le Chili et les ronds-points des Gilets jaunes, le masque emblématique des Anomynous, visage blanc au sourire malicieux, est aujourd’hui présent dans toutes les luttes sociales.

 

L’époque est terne pour la liberté de la presse

 

Aussi, l’époque est terne pour la liberté de la presse. Partout, celle-ci recule… Les journalistes subissent de plus en plus de pressions, quand ils ne se font pas attaquer, violenter ou casser leur matériel. Dans certain pays, comme la Pologne par exemple, cette violence est devenue étatique et insidieuse. Depuis 2015 et l’ascension du PiS (le Parti politique droit et justice) au pouvoir, la volonté du gouvernement est de « repoloniser les médias », c’est-à-dire de limiter les capitaux étrangers dans les groupes de presses et en particulier dans la presse locale.

Manque de pluralisme, difficultés d’obtenir des interviews et de couvrir les élections pour les médias non « nationaux »… En Pologne, comme dans de nombreux pays, le journaliste n’est pas cet idéal « chien de garde » de la démocratie, mais un bon vieux “toutou” domestiqué et obéissant.

Malheureusement, quand il ne souhaite pas devenir ce servile animal domestique, il peut, dans sa mission d’informer, être amené à risquer pour sa vie. Il faut dire que le journaliste embête… Son travail nuit parfois aux intérêts des entreprises, des gouvernements, voir des citoyens, quand il ne cristallise pas leurs colères et leurs angoisses. Il suffit d’un zoom dans l’Hexagone, après une année et Gilets jaunes pour le confirmer.

La profession est mal-aimée, maltraitée voire dangereuse… Dans le monde, quarante-huit journalistes se sont faits assassinés en 2019. Un score « historiquement bas » selon l’organisation non gouvernementale Reporter sans frontières (RSF), mais faut-il pour autant s’en réjouir ? Pas sûr. Le Mexique concentre un bon nombre de ces assassinats, avec dix journalistes tués en 2019, faisant pointer le pays d’Amérique centrale à la 144e place (sur 180) du classement pour la liberté de la presse. Là-bas, l’impunité après le meurtre d’un journaliste règne d’une main de maître, et les assassins sont rarement inquiétés par la justice.

 

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